mardi 23 février 2010

Mûre et Musc - l'Artisan Parfumeur 1978 : fruit défendu.

Mûre et Musc est devenue en trente années une sorte de légende, un parfum que l'on range sans hésiter parmi les parfums cultes. Mais d'où peut donc venir ce succès ? Né douze années après Eau Sauvage, Mûre et Musc s'en inspire sans vraiment le crier. Ce n'est effectivement pas une évidence, mais en y prêtant bien attention, comme l'a si justement fait remarquer Jeanne sur auparfum, Mûre et Musc et Eau Sauvage sont bien de la même lignée. Cette ligne simple, limpide, un accord facile à lire et unique, voilà peut être un cocktail bien dosé pour durer.

Pour en avoir le coeur net, j'ai moi même mené une petite expérience. Mettre l'Eau de l'Artisan, très proche de Eau Sauvage dans son effet sur une touche, ajouter quelques gouttes de frambinone, qui sent la framboise, et de galaxolide, musc blanc réputé à l'odeur douce de mûre. Comparer ensuite cette grossière juxtaposition à Mûre et Musc et figurez vous que le résultat est édifient, la filiation étant évidente avec une conclusion qui s'impose d'elle même : Mûre et Musc n'est pas uniquement un parfum fruité. En effet, cette comparaison fait ressortir la trame aromatique d'estragon et de basilic, les citrus, un peu d'hédione et une pointe qui fait penser à la cannelle. Il y a aussi peut être un peu de patchouli pour un effet chypré que mentionne Jeanne, mais que je ne perçois pas autant que quelques notes propres et savonneuses pas désagréables pour un sou. Ce qui ressort, c'est bien un accord fruité de mûre et de framboise qui, associé à la finesse de cette construction aromatique, propre et légèrement chypré donne à ce parfum son empreinte unique. Pour le représenter, j'ai choisi une nature morte : des fruits bien présents, le bois des branches, les feuilles un peu piquantes et le filet argenté qui recouvre la coupelle, qui pourrait illustrer cette transparence apportée par l'hédione, comme une sorte de joli contenant.

J'ai toujours reconnu ce parfum quand je l'ai senti porté, et il faut bien avouer que parmi les soupes aux fruits très à la mode actuellement, ce Mûre et Musc me donne très envie de le défendre; un fruit défendu en somme, car il tire très bien son épingle du jeu de nos jours, surtout face à Améthyste de Lalique, Jeanne de Lanvin ou Fuel for her de Diesel.

Deux variantes sont disponibles, Mûre et Musc Extrême, qui appuie sur la framboise, plus charnel, plus sombre et l'Extrait, enrichi de rose par rapport à la version extrême et qui souligne un peu plus les facettes chyprées et épicées. L'Eau de Mûre et Musc, où le pamplemousse apportait une pointe acidulée et un peu de lumière contemporaine était une interprétation intéressante mais hélas en série limitée qui n'est plus disponible aujourd'hui.

Si vous êtes un homme et que vous ne craignez pas les fruits, comme dans Oval de Eden Park ou l'Amoureux 6 de D&G par exemple, l'aspect légèrement savonneux de Mûre et Musc et la facette aromatique peuvent très bien vous plaire. Il sera approprié pour un week end en tenue décontractée par exemple. J'ai testé, sans remarques particulières, à bon entendeur !

Après coup, j'ai oublié quelques remarques et précisions : la trame aromatique de Mûre et Musc fut sans doute reprise dans le travail sur l'Eau de l'Artisan, ce qui donne comme un air d'Eau Sauvage à ce dernier. Et, parce que je le porte régulièrement, et que j'ai comparé les deux parfums sur peau côte à côte, j'ai l'impression de lire la trame aromatique-savon-framboise-musc blanc aussi dans Fou d'Absinthe, en filigrane mais bien présente, et envahie d'un chaud-froid d'épices du plus bel effet sur peau. Lui aussi pour le coup, j'en suis fou.

Illustration : Raphaëlle Peale.

jeudi 18 février 2010

L'Eau du Navigateur - l'Artisan Parfumeur 1979 : étonnamment contemporain.

Il est des parfums que l'on n'aime pas spontanément, parce que les notes ne nous plaisent pas immédiatement et parce que l'évocation raconte une histoire que nous ne saisissons pas. Pourtant, ils nous intriguent, attisent notre curiosité jusqu'à ce qu'un jour, il se passe un déclic et tout devienne plus évident. Il aura fallu attendre 2010 pour que je comprenne ma rencontre avec l'Eau du Navigateur et ce que j'aime dans ce parfum.

D'une part, parce qu'il semblerait que j'aie envie de redécouvrir le travail de Jean Claude Ellena en ce début de décennie, et d'autre part, parce que nous sommes encore chez l'Artisan Parfumeur.
Les toutes premières notes résineuses de cèdre français et de jacinthe accompagnées d'autres bois me font penser à de la colle à bateau. C'est explosif et viril, mais je redeviens pourtant le gamin de 10 ans qui joue avec ses maquettes. Succède à cela un accord fougère de lavande et de géranium assez classique de l'époque, qui associé à ces notes de résine me renvoie immanquablement à de grands succès des années 80 comme Montana Homme et Globe de Rochas aujourd'hui oubliés, ou même à Derby.
Autant vous dire qu'à l'époque, ces parfums n'étaient pas ma tasse de thé, mais sans doute que l'age aidant, je les appréhenderais aujourd'hui avec un autre regard. L'Eau du Navigateur évolue ensuite sur un cortège de notes poivrées de poivre noir, de clou de girofle et d'un trait de patchouli, relevé d'un peu de café : un café pas forcement comme on le sent lorsqu'on ouvre un paquet, mais un café plutôt vert, âpre, comme s'il sortait du sac avant d'être torréfié. A ce moment, la personnalité de ce parfum est troublante et annonce déjà ce qui se passera ensuite, qui n'a pas grand chose à voir avec les fonds parfois trop présents des parfums cités plus haut. Sur peau en effet reste une note patinée de cuir fumé et d'épices à laquelle s'ajoute la myrrhe qui apporte un peu de chaleur dans un ensemble jamais brutal, qui se fond à la peau tout dans une douceur que je qualifierais de virile. Parfois même, cet univers masculin peut faire écho aux notes froides, sèche, âpres de certains cigares.
Ce parfum est paradoxal par essence. Viril, mais doux, très marqué 80's, il se veut aussi étonnamment contemporain. En effet, pour comprendre l'Eau du Navigateur, j'ai du le sortir des 80's et me suis projeté aujourd'hui dans un contexte de luxe marin épuré de bois et de métal qui lui correspond à mon avis assez bien. Ainsi, si vous le comparez à Poivre Samarcande du même auteur, on ne peut plus épuré mais créé en 2004, vous vous apercevez qu'en 1979 avec l'Eau du Navigateur, Jean Claude Ellena avait déjà travaillé cette idée d'une ligne claire, simple, limpide et lisible, dans un paysage débarrassé de fioriture. Tout comme Poivre Samarcande, je le trouve très "design" mais j'ai envie de dire qu'il sent aussi l'argent, le luxe, le pouvoir, la puissance car sans pouvoir expliquer cela par un quelconque schéma mental, il provoque la sensation d'être fort et sûr de soi, et comme de coutume chez l'Artisan, il se montre très attachant.

Aujourd'hui, l'Eau du Navigateur me semble étonnamment contemporain pour qui se donnera la peine de le redécouvrir et une excellente alternative à des parfums comme Guerlain homme, Terre d'Hermes, Tom Ford for men, Egoiste Platinum ou For Him, sans les fioritures. Pourvu qu'il ne leur vienne pas en tête de le discontinuer !

Illustration : Wavepierecer de Yachts Nouvelle-Zélande, pour navigateurs fortunés.

jeudi 11 février 2010

La Chasse aux papillons - L'Artisan Parfumeur 1999 : vivement le printemps !

Il fait froid, c'est bientôt la Saint Valentin, j'ai juste un peu envie de rêver ! Pour cela l'échappée vers le printemps se dessine, et pour la Saint Valentin, il me prend des envies soudaines d'aller courir les champs dans une chasse aux papillons. Vivement le printemps !

Vous le savez ou non, mais je crois que j'ai du déjà le dire, Méchant Loup aime les fleurs blanches : jasmin, tubéreuse, fleur d'oranger, tilleul et chèvrefeuille. Il m'est difficile d'être neutre sur ces parfums parce que ces fleurs et les évocations associées font partie intégrante de mon vécu. Je me souviens de la première fois que j'ai senti la Chasse aux papillons. Comme pour une autre création d'Anne Flipo, Mimosa pour moi, je me suis retrouvé au beau milieu de la nature tellement l'évocation est proche de ce qui existe à l'état naturel. La Chasse aux papillons vous invite dans un jardin de fleurs au printemps, quand les chèvrefeuilles commencent à diffuser leur parfum sous les tonnelles. Plaisir frivole qui frôle le vrai bonheur !

Toutes les fleurs citées plus haut se succèdent dans la construction de ce parfum, avec une maîtrise telle que l'on ne sait pas où se trouve la frontière entre l'évocation de la nature et la création d'un parfum. Pourtant, la Chasse aux papillons est bien un parfum de peau, sur laquelle s'exprimera au bout de quelques heures, passé le cortège de fleurs blanches, une note duveteuse très proche d'un thé blanc japonais au jasmin, d'un effet que je trouve un peu "Ellenesque" ! Délicieux.

Alors, en ces temps de grands frimas, je vous suggère une chose les filles : ce week-end, si je prends la Rolls, que diriez vous d'une chasse aux papillons ? Aie, je crains le dur réveil ... oui vraiment, vivement le printemps !

Je suis passé récemment devant la vitrine d'une boutique de l'Artisan Parfumeur, et ce fut l'occasion de constater que les fleurs sont à la mode en cette saint Valentin. Pour mon plus grand plaisir : la rose douce un poil rétro de Drôle de rose, la tubéreuse crémeuse et charnelle de Tubéreuse, qui continue son chemin à priori, et les fleurs blanches de notre Chasse aux papillons.

Illustration : Tim Walker.

samedi 6 février 2010

Méchant Loup - L'Artisan Parfumeur 1997 : loup y es-tu ?

Trop bref, trop succinct, le premier article consacré à Méchant Loup lors de l'ouverture d'Olfactorum fait bien pâle figure à coté de ce que j'ai envie de dire sur ce parfum. Outre le fait qu'il m'accompagne beaucoup plus souvent maintenant, la description et les évocations manquaient cruellement de richesse. Méchant Loup est sans doute un peu de cela, un parfum riche et assez complexe qu'il en est presque insaisissable, comme si les notes se suivaient dans un ensemble très cohérent qu'il serait presqu' impossible de décrypter de manière très précise sans s'y attarder assez longtemps.

L'accroche qui m'a fait aimer ce parfum est la noisette et la sensation très forte de marcher sur un chemin de feuille mouillées l'automne en forêt. C'est une étrange sensation de penser que l'anis, la réglisse la cannelle et un peu de vanille sentent finalement, ensembles, la noisette ! Première émotion, première image et le loup n'est déjà pas loin. Levez la tête ensuite et c'est un paysage boisé qui s'offre. Les arbres livrent leurs fruits charnus, les notes boisées de leurs troncs, le piquant épicé de leurs feuilles, la terre humide de leur racines et la chaleur baumée de leur sève. Méchant Loup sent donc le sous-bois, grâce à un cocktail savamment dosé de patchouli, de cèdre blanc, de santal et de bois de gaïac, d'épices bien présentes comme la cannelle, et par l'apport par petites touches de myrrhe, d'iris et d'une fine note de rose moussue. L'ajout d'une note "poire", de muscs blancs modernes et d'un accord de lavande et de géranium assez classique fait glisser Méchant Loup sur le territoire des fruits des bois bien mûrs, comme la pomme, la poire et la mûre, et le rend presque ambigu : accord fougère bien masculin mais douceur et féminité des fruits et des muscs ! Qui peut le porter ? Qui est-il ? Tapi dans l'ombre, derrière ce paysage boisé, le loup dévoile enfin son visage : quelques notes animales en filigrane, un peu de cuir, il se faufile et ondule entre les arbres.

Thierry, un ami, disait sur auparfum que Jicky lui était consubstantiel. J'aime beaucoup cet adjectif, pour moi, c'est sans conteste Méchant Loup, et parfois Héritage. Pourquoi ? Pour toutes ces évocations, ces images, et l'idée, parfaitement traduite, déjà en 1997, par Bertrand Duchaufour, qui fait corps avec les couleurs, les matières et les odeurs que j'aime. En outre, le subconscient l'emporte souvent dans l'appréciation d'un parfum personnel. Certaines femmes m'ont parfois demandé s'il pouvait leur convenir. J'ai du mal à répondre, car je l'aime comme un parfum d'homme et surtout comme "mon" parfum, mais pourquoi pas, sans doute même, si vous l'imaginez dans le contexte onirique de l'illustration et si vous aimez sa douceur. D'autres parfois, m'ont demandé ce que je portais. Par pudeur, je dévoilais son nom à mi-mots, mais il semblait bien qu'il charmait, l'air de rien.

Voilà, l'article fut moins bref, et j'espère peut être vous donner l'envie de le découvrir, même si je ne tiens pas trop à le retrouver sur tout le monde. Alors, et vous : loup y es-tu ?

Illustration : inconnue, mais envoutée par Méchant Loup ?