Il y a des parfums que l'on pourrait qualifier de troublants, mais c'est peut-être parce qu'ils sont inspirés par quelque chose de troublant. Par troublant, je veux dire peu habituel, peu conventionnel, qui n'obéit pas aux habitudes, au diktats. La musique Baroque a ses codes, mais un morceau chanté en haute-contre est déroutant : Music For a While, le parfum inspiré du chant éponyme écrit par Purcell, y puise sans doute son énergie très en rupture.
Pour apprivoiser ce parfum, il faut d'abord être libre de tout jugement hâtif sur ce que l'on connait déjà. Il use et abuse de la lavande, mais d'une lavande naturelle en surdose, qui pique, qui grince, et qui apporte une chaleur et une épaisseur inhérente à sa structure. Ensuite, Carlos Benaim semble avoir cousu autour des facettes riches de cette lavande en poussant l'envolée par une mandarine juteuse, en tirant les bois vers un patchouli sombre, un cèdre corsé, en appuyant les aromates par du thym ou de la myrte, en adoucissant de notes d'érable, de cannelle et de vanille, pour ensuite tout casser et recouvrir d'un fruit exotique tonitruant, entre la mangue et l'ananas, qui vient tout bousculer avant de rétablir l'équilibre. Un univers s'offre à vous : vous fumez un cigare autour d'un rhum dans une vieille bibliothèque, dans un fauteuil en cuir. Vous pourriez être aussi dans un cabinet de curiosités, et vous explorer les fioles de formol, le bois jauni, le vernis, l'encaustique !
Voilà, on y est ! Music For a While, un parfum fou, créatif, cohérent par son inspiration, et que je verrais bien sur des artistes un peu fous, à la coupe défaite et aux cheveux hirsutes, penchés sur leurs feuillets chiffonnés, pantalons de velours ou robes de lin aux motifs 70's. Ou pourquoi pas, sur ces excentriques new-yorkais (es) aux couleurs aussi chatoyantes qu'un perroquet des îles. Qu'en pensez vous ?
Exubérant, troublant et décalé, mais cocktail attachant !
Illustrations : Domenico Remps, Frédéric Malle.