vendredi 12 août 2016

Nérolis entre ombre et lumière.

Issue de la fleur de l'oranger "bigaradier", le néroli en est l'essence. Jean Kerléo me disait un jour, il y presque quinze ans maintenant, qu'il était reconnaissable à son odeur de pâte à pain fraîche et, le souvenir de cette phrase à jamais gravé, je reconnais en effet qu'une belle essence de néroli a cet aspect peau fraîche et duveteuse. Mais c'est surtout, en création, une matière liante et multi-facettes. Un peu à la manière du patchouli, il connecte avec à peu près toutes les familles olfactives. De la Cologne à l'oriental, en passant par le chypre, on ne peut quasiment pas se passer de sa richesse. Traité en soliflore, il laissait apparaître jusqu'à cette année plutôt des facettes douces, voire juvéniles, innocentes et discrètes. Les deux Nérolis dont je vais vous parler aujourd'hui, sont loin, très loin d'être innocents, comme s'ils savaient capter l'ombre et la lumière.



Eau de Néroli Doré d'Hermes, le premier, parait tout gentil au premier abord. Pourtant, quand on le porte, il est beaucoup plus sombre et coquin qu'il n'en a l'air. Très clair dès son envolée proche de ce que l'on a l'habitude de sentir dans certaines Colognes, le néroli est tout de suite "happé" par le safran, qui le tire très rapidement vers un fond beaucoup plus chaud,  plus sombre, presque cuir-suédine, par un jeu de muscs blancs veloutés et de notes moussues. 

Ce qui me frappe dans le travail de Jean Claude Ellena, c'est que certaines notes semblent être présentes dans le parfum alors qu'elles ne sont pas revendiquées, et apportent bien leur petit effet. Ici, il me semble percevoir un beau basilic asiatique, très linéaire dans son évolution et qui lui donne cet aspect "doré" dont il tire son nom et assure une connexion parfaite entre les éléments du décor. Une note végétale un peu surprenante que JCE semble apprécier dans ses dernières créations soutient le tout, et lui confère sa signature, son originalité. Agréable et noble, ce néroli contrasté mérite que l'on passe au delà de la toute première approche à priori classique, mais qui ne l'est pas vraiment au final.


Néroli Outrenoir de Guerlain, lui, sait aussi jouer aussi du contraste. Autant le dire tout de suite, ce parfum, qui reprend certains codes de très anciens Guerlain, comme le tout premier Parfum des Champs Elysées sans les notes poudrées par exemple, est un véritable coup de coeur. Très adepte de notes fumées (je n'ai pas créé Cuir Extrême par hasard), j'ai tout de suite été sous le charme, et en admiration devant ce beau parfum facetté, complexe et bien plus riche qu'un simple néroli tout gentil. L'or et la lumière sont apportés par un envol très frais de citron, de bergamote, de mandarine verte et bien sûr, d'un beau néroli. 

Le parfum s'enroule ensuite autour d'un accord assez classique de thé vert, que l'on peut voir aussi dans Teazzura par exemple, mais auquel Thierry Wasser et Delphine Jelk ont ajouté des notes fumées (bois de gaïac, cade, poivre), pour lui donner l'aspect sombre d'un thé noir. L'aurentiol, complément quasi indispensable pour appuyer le néroli, donne richesse et amplitude par ses notes jasminées, chaudes et pleines. Ce qui me frappe ici, c'est la durée de la note mandarine verte, qui se gorge de quelques muscs blancs au passage, et perdure même après quelques heures, atour d'un accord de rose moussue très discrète. Fumée, jasmin dense, rose moussue, tel pourrait être cet outrenoir ? La durée de cette mandarine est sans doute une de ces toutes dernières méthodes d'extraction mises au point en Italie, mais je ne peux le confirmer. 

Magnifiquement équilibré, d'une très belle évolution, Néroli Outrenoir semble renouer avec la vraie tradition de Guerlain de ne pas faire que des notes vanillées-ambrées, mais tout simplement, du parfum. Aux cotés de Rose Barbare que j'adore porter, j'imagine bien ce Néroli Outrenoir dans un flacon abeille jaune issu des toutes dernières propositions colorées de la marque. 

D'un aspect parfaitement "doré", ces deux parfums captent l'or et l'objectif dans un jeu de contrastes déconcertant d'ombres et de lumières. Sublimes ! 


Illustrations : Light is Time à Tokyo en 2014, Hermes, Guerlain.