samedi 13 novembre 2010

Ce soir ou jamais - Annick Goutal 1999 : l'ultime rose !

Amatrice de parfums, passionnée de musique et d'arts, Annick Goutal caressait le rêve de réaliser son parfum, l'ultime, celui qui parlerait d'elle, de son âme et de ce qu'elle préfère. La rose était sans doute sa fleur préférée, car elle l'avait travaillée dans Grand Amour, Quel Amour et Rose Absolue. Déjà trois créations, mais elle n'avait pas encore exploré toutes les facettes de cette fleur grandissime. En 1999, alors qu'elle se sait très malade, elle travaille à un parfum qui hélas fut un peu son requiem, qui ne rencontrera son public qu'à titre posthume. La rose et Annick Goutal, c'est donc un cycle, une tradition qui se perpétue encore aujourd'hui avec le récent lancement de Rose Splendide.

Cette rose réalisée par Annick et son amie parfumeur Isabelle Doyen est ultime car elle va chercher dans la fleur les facettes les plus nobles riches pour les magnifier et en faire un parfum bijoux, scintillant, étincelant même. Ultime aussi par son nom, véritable ultimatum. "Veux tu être ma femme, c'est ce soir ou jamais", "la chance de votre vie, c'est ce soir ou jamais", "je pars très loin, c'est ce soir ou jamais". A chaque fois la promesse d'un nouveau départ.

Un ultime rêve, dont les matières sont secrètement préservées sur le site de la marque, mais qui révèle dès le départ une rose turque verte et piquante d'un aspect très classique qui peut donner une impression délicieusement rétro. S'élèvent très rapidement les vapeurs enivrantes d'alcool de poire Williams que peuvent avoir certaines roses et que l'ambrette soulève de manière à rendre cette rose scintillante. La mélodie de cette belle rose se déroule. Un accord d'iris et de violette emporte le sillage vers des contrées poudrées de rouge à lèvre et de poudre de riz, et je devine en pointillé un vétiver assez sombre et fumé qui vient soutenir l'ensemble. Une toute petite pointe de cumin le rend sensuel et se conjugue magnifiquement à l'ambrette pour en faire un parfum de peau chic et féminin.

Je lisais récemment une phrase d'Isabelle qui laissait supposer que ce parfum fut un exercice difficile car il faillait trouver le juste équilibre: la facture est classique mais la luminosité apportée par cette note de poire Williams le rend très contemporain. Cette rose n'a pas d'époque : est-elle moderne ou rétro ? Ni l'un ni l'autre. Pour moi, c'est une belle rose rouge légèrement perlée de rosée et surtout, un parfum riche et brillamment construit.

"Ce soir là, nous avons diné, nous avons marché sur les bords de la Seine, et nous nous sommes arrêtés pour regarder la tour Eiffel briller de mille feux. Nous avons rêvé, amoureux. Et là, je t'offrais une rose pour te déclarer ma flamme et te demandais si tu voulais devenir ma femme, là, ce soir... ou jamais. Dans mon élan, je te demandais quel parfum tu portais, qui m'avait totalement charmé. Ta réponse fut celle-ci : "Oui, c'est ce Soir ou Jamais". Bien plus tard, je compris que tu avais répondu aux deux questions.

En ce mois de la rose, je voulais rendre hommage à Annick Goutal, qui nous a quittés il y a 11 ans et laissait ce parfum en requiem, et parce que certains de ses parfums m'accompagnent depuis très longtemps. Ce Soir ou Jamais est pour moi un soliflore "rose" des plus ultime et abouti.

Illustration : Nick Knight, Edition Limitée de Ce Soir ou Jamais, Rose rouge perlée.

8 commentaires:

Thierry a dit…

Mon ressenti diffère un peu du tien : je ne parlerais pas pour ma part de rose rouge mais plutôt de roses anciennes dans les tonalités de "vieux rose", lilas... et la composition m'évoque davantage un jardin par la captation de l'air ambiant qu'un soliflore basé sur une essence ou une absolue qui le plus souvent diffère de ce qui s'émane de la fleur lorsqu'on se trouve à une certaine distance.
L'ambrette effectivement "booste" la fragrance et lui confère aussi une dimension moderne, alors que ce jardin est fortement empreint de nostalgie.
Enfin, on retrouve aussi ce départ ambrette dans Musc Nomade et au risque de m'attirer les foudres de tes lecteurs je trouve que l'association CSOJ-MN produit un résultat fabuleux absolument pas dissonant du fait de cette note commune. Voilà pour la minute hérétique :-)

Thierry Blondeau a dit…

Effectivement, nous pouvons aussi parler de jardin et je te rejoins sur l'idée de captation de l'air ambiant. Sur la couleur, il y a à coté de mon travail un jardin ou fleurissent beaucoup de roses et elles sont rouges.
Sinon, par soliflore, je n'entends pas forcement parfum basé sur une absolue mise en valeur, mais parfum "représentatif et figuratif" de la fleur, assez peu ornée d'autres facettes.
Sinon, bravo pour ton mariage CSOJ-MN, c'est en effet une association qui fonctionne bien par affinité de notes.

Jicky et Phoebus a dit…

Wahou ! Magnifique Méchant Loup !

Il faut absolument que j'aille le sentir, car malheureusement je ne le connais pas (encore !).

Un vraiment bel article, qui je trouve rend hommage même dans l'ensemble au travail de la maison Goutal !

Et une pensée pour Annick Goutal donc =)

Merci !

Jicky

Thierry a dit…

Oui, en ce qui concerne la dimension soliflore, j'avais compris et je suis d'accord.
En revanche, en ce qui concerne la couleur, je crois qu'on s'exprime souvent par associations d'idées (ici couleur / odeur). Dans ces conditions, quand tu parles de rose noire pour Portrait of a lady, je me suis permis de penser que tu ne faisais pas allusion spécifiquement à la senteur objective de roses noires. Aussi la rose rouge foncé m'évoque davantage Rose Absolue dont tu parleras peut-être que CSOJ mais en aucune façon je n'affirmais que CSOJ n'en contienne pas.
Je me suis aussi souvenu que la rose centifolia (en HE ou absolue je ne me souviens plus) m'avait évoqué la langueur d'un alcool de poire... sentiment retrouvé hier en ressentant le N°18 de Chanel.

DAU a dit…

Pour moi aussi, cette rose est d'un beau rouge très sombre et velouté pour la simple raison qu'elle m'évoque très précisément les roses sombres, petites mais très odorantes qui poussaient dans le jardin de mon enfance. Pour leur ressembler autant, je ne peux que la trouver très réussie même si je n'apprécie guère les roses, moi qui suis malgré tout un très grand admirateur d'Annick Goutal.

Thierry Blondeau a dit…

Thierry, il est très étrange d'avoir des perceptions très différentes, car c'est pour moi Rose Absolue qui évoque une rose ancienne charnue et fushia, tant elle sent la framboise et les muscs très légèrement sucrés en fond.

Pour ma part, la note poire de la rose Centifolia s'apparente plus à celle plus douce de la peau du fruit qu'à celle de l'alcool.

D., j'aime assez ce jeux avec la rose, qui laisse en effet une immédiate sensation de nature et de jardin, mais peut aussi être charnelle et sophistiquée.

Thierry a dit…

Pour conclure :
rose rouge : 2
rose rose : 1
Vaincu par KO au premier round :-) , il me faudra attendre l'été prochain pour vérifier tout cela in situ mais je reste persuadé que je fais une association chromato-olfactive (à tort semble-til).

Anonyme a dit…

Je la trouve effectivement jardin en eau de toilette, vraiment une très belle rose de jour, l'eau de parfum est plus soir, rose rouge classique qui me fait penser à Or et Noir de Caron mais nettement plus intemporelle et fraîche.

Simone