lundi 30 septembre 2013

Theseus - Lorenzo Villoresi 2011 : le temps n'est pas assassin !

Non, le temps n'est pas assassin ! Il permet aux choses de murir, de s'installer, de se bonifier et surtout, de perpétuer des oeuvres. Pour peu que l'on y prête un peu d'attention, quand on les remarque, l'envie d'en prendre soin et de les préserver devient une nécessité. C'est un peu ce constat que je fais en revenant d'Italie, où les églises, l'architecture et les couleurs de certaines villes traversent le temps sans grand dommage, car leur beauté est telle qu'il semblerait sacrilège de la laisser se faner. Alors, grand soin leur est prodigué.

Pour Theseus, c'est aussi sans doute cet amour du beau, et surtout de la belle parfumerie qui a motivé Lorenzo Villoresi pour ressortir un tel parfum il y a seulement deux ans, en faisant fi des modes et des courants. Découvrir Theseus, c'est voyager dans une parfumerie qui n'existe plus, une parfumerie de matières, de textures, de style et de qualité que l'on croyait complètement laissée de coté à cause des normes, mais qui laisse penser qu'avec un peu d'effort, le beau, le vrai, est toujours possible.

Ce parfum dont les notes et le style n'est pas nouveau certes, parait intemporel car il reconnecte avec ce que la parfumerie a pu produire de plus joli et profond à une époque où le seul soucis était de faire du beau. J'ai immédiatement pensé à L'Eau de Chypre de Coty, merveilleuse fougère chyprée et boisée des années 40, ainsi qu'à Mouchoir de Monsieur : note proprette et florale du géranium aux accents de mousse à raser, appuyée de l'effet poudré de la violette et d'un véritable iris de Florence d'une qualité indéniable ici remarquée, tonalités boisées du vétiver soulignées d'un effet "mouillé" très "peau". Le parfum évolue ensuite vers des notes de mousse et de baumes, où je devine styrax, mousse d'arbre et sans doute du baume de tolu à la douceur incomparable. 

Comme il est dit dans la description qui en est faite sur le site, il est donc bien intemporel, d'une beauté simple et classique à couper le souffle pour peu que l'on ne se soucie pas d'être à la mode mais de la seule élégance toute italienne. Il a la chance d'avoir été formulé de nos jours et n'a donc jamais été déformé. Son évolution sur peau est magnifique, à la fois poudrée, boisée et très douce. Bref, découvrir Venise en portant Theseus, c'est connecter avec l'histoire, la peinture, l'art, avec Canaletto, Titien, Bellini et tout ce que l'Italie peut offrir de couleurs et de magie que le temps n'a pas tué.

Illustrations : Canaletto, Lorenzo Villoresi.

dimanche 15 septembre 2013

Straight to Heaven, Déliria : paradis artificiels !

 
Eyes wide shut ; littéralement "les yeux grand fermés". Il y a dans cette expression comme une idée d'obstination, d'abandon, de volonté de ne pas vouloir voir où l'on s'embarque, de ne pas sentir le goût du danger, en se lançant comme un défi dans une aventure obscure ; un état d'esprit propice à l'abandon des corps, à la sensation de chairs qui se touchent, de lèvres qui se frôlent, de souffles qui se rapprochent, de chaleur qui monte. Cette idée, déjà explorée chez Jean Paul Gaultier dans Gaultier 2, atteint aujourd'hui son paroxysme avec deux parfums, Straight To Heaven et Déliria, qui, dans leur histoire et leur genèse, revendiquent cet abandon de la chair aux plaisirs charnels et à l'excès qui guette ceux qui succombent aux tentations de la nuit. 

Straight to Heaven est fait de bois secs comme le patchouli et le cèdre, de vapeurs de rhum et d'épices, d'un bois lacté comme le santal, de notes de bois de gaïac on ne peut plus charnelles et de vapeurs d'alcools forts. Ce parfum, créé sur l'idée de ce que pourrait sentir la poudre "White Crystal" (entre la craie, la farine, la fraise et la noix de coco) se révèle troublant, énigmatique, attirant. J'ai pu en attester en le portant, car en s'approchant de moi, deux personnes m'ont dit que ce parfum les étonnait (je dirais plutôt les troublait) dans un sens très positif. De là à penser que son pouvoir d'attraction serait capable de troubler les sens, il n'y a qu'un pas. Il ne m'accompagne pas tous les jours, mais à certains moments, et plus particulièrement en automne, quand les couleurs et la lumière me parle de chaleur réconfortante, et quand il m'arrive de mettre les crocs de coté pour avoir le sentiment de porter un parfum de séduction. Ses bois lactés m'enveloppent, je dirais même qu'ils me transportent. Mon flacon est d'ailleurs bientôt vide, il va falloir que je me penche sur la question de racheter la recharge !!! A moins que je ne fonde pour un autre... tout nouveau ? Déliria.

Déliria serait un peu le fruit défendu : pomme d'amour accordée autour d'un ananas bien juteux, alcools forts ici également, fondant au sens propre dans un accord de miel et de bois lactés, pour se lover enfin sur un lit de caramel au beurre salé. Une pincée d'aldéhydes vient troubler l'équilibre, pour enrichir l'idée de péchés capitaux, de tentations folles, d'appel de la peau qui ne se fait plus attendre. Déliria crie sa folie ! Original en diable, jamais senti auparavant, il ouvre une nouvelle voie, et cela fait le plus grand bien. Contrairement à ces deux acolytes qui l'accompagnent dans ces explosions d'émotions, où Skin on Skin revisite Traversée du Bosphore avec un soupçon de musc de peau et de cuir souple "à la Botega Venetta", et où Amour Nocturne joue le bois sec déjà testé dans un des Numéros de l'Artisan (le 7 je crois), Déliria ose, innove et surprend. La volonté était de troubler les sens, et c'est on ne peut plus réussi. "Tout s'embrouille, les équilibres sont boulversés" peut on lire ici ou là, et c'est vrai. Il n'est ni floral, ni gourmand, ni épicé, ni boisé, il est un peu de tout cela, il glisse, il crisse, il étonne et il détonne mais surtout, il titille les sens. On aime, on déteste, pour ma part, j'adore ! Le pari me semblait risqué pour la marque, pourtant, avec Déliria (mais uniquement avec celui-ci), le virage s'amorce dans un sens qui lui sied bien. 
 
Deux parfums de peau originaux, pas forcement adaptés à un usage quotidien, mais "to use with caution" dans le vrai sens du terme, car, troublants les sens, pourraient être un de vos paradis artificiels si vous avez les" yeux grand fermés" !

Illustrations : photo issue de Eyes Wide Shut de Stanley Kubrick, By Kilian, L'Artisan parfumeur.

dimanche 1 septembre 2013

Tonka vs Tonka Impériale : le juste prix du luxe ?


Après une Vanille fortement inspirée de Cuir Béluga sans vraiment copier, Réminiscence nous livre cette année sa vision de la fève tonka, comme Guerlain l'a fait il y a deux ans. Forte inspiration de la création de Guerlain également pour cette Tonka à quelques nuances près. La fève tonka, pour vous donnez une idée, c'est un peu comme si la pierre de topaze impériale avait une odeur ! C'est blond, clair, légèrement caramélisé, épicée, anisé, vanillé et surtout, c'est doux et polis, tout en étant assez lumineux.

Reprenant quasiment à l'identique la trame faite de romarin, de notes anisées, baumées, douces et amandées de Tonka Impériale, Tonka nuance en revanche plus les facettes florales avec l'appui du jasmin, ce qui apporte beaucoup en finesse. Les épices se font également plus profondes, usant en cela une base "pain d'épices" très à la mode, que l'on retrouve dans Ambre Narguilé, SpiceBomb, CK One Shock, A Men Pure Havane entre autres. 

Mis à part cela, il n'y a quasiment rien à redire : c'est doux, joli pour qui aime ces notes, très équilibré car pas trop puissant ni étouffant, c'est sucré et baumé juste comme il faut, à tel point que j'ai presqu'envie de dire que l'élève dépasse le maitre. Il me parait plus nuancé que Tonka Impériale, comme si ce dernier avait été perfectionné dans ce re-travail. 

Copiez, collez, dupliquez, réduisez le format et nuancez, et l'on comprend alors qu'il est fort possible, vu que la différence de prix entre les deux parfums ne se justifie pas notablement par la qualité des matières premières utilisées, que Guerlain nous vende plus de la marge que ce qu'il y a réellement dans le flacon. Réminiscence, dans la lignée, sait rester accessible, pour notre plus grand plaisir ! 

Après Vanille, déjà très réussi, ce Tonka fait plaisir, et il y en aura peut être encore d'autres... une myrrhe délirante, un bois de benjoin ? Qui sait ? 

Illustrations : Topaze impériale, Tonka Réminiscence, Tonka Impériale Guerlain.