vendredi 11 novembre 2011

Le Chypre - Coty 1917 : accord mythique.

J'aime cette sensation à la sortie d'un aéroport, où à la nuit tombée, tout est noir. On ne voit plus rien. Un noir tellement intense que l'on ne perçoit que l'air ambiant, dans un sillage nouveau, doucettement fumé de lichen, d'herbes sèches, de vent de sable et de terre aride. Quand François Coty posa pour la première fois les pieds sur la terre de Chypre dans les années 1910, cette impression devait sans doute être encore décuplée, car je l'ai assez fortement ressentie au tout premier contact avec l'île, même de nos jours. Elle se confirme dans les terres, à l'approche des temples, des mosaïques et surtout, le long des allées parfumées qui jalonnent l'île. Origan, thym, basilic, ciste, mais aussi oranges, bergamotes et roses sauvages se dévoilent au détour des chemins secs.

Ce n'est plus un secret, l'évidence n'en est que plus flagrante, l'accord dit "accord chypré" puise bien les sources de sa structure olfactive sur ces terres, comme le nom d'Aphrodite, omniprésente ici, tire son origine de l'écume de la mer. Il me semble alors que de retour à Paris, garder ces sensations olfactives en mémoire fut un défit pour le parfumeur.

Pour évoquer l'herbe sèche et cette sensation de lichen, de la mousse de chêne, riche, piquante, froide et fumée se révèle indispensable, surtout dans ses variétés de l'époque. Le patchouli et ses notes camphrées rappellera les arbustes de thym et d'origan ainsi que les bois, le ciste labdanum fera le lien entre le sol et l'air par ses notes résineuses d'ambre sombre, de sable chaud et de pierre aride. Enfin, pour que cette structure soit un vrai souvenir olfactif qui ait l'air d'un parfum, pourquoi ne pas ajouter un soupçon de ses fleurs sauvages et piquantes comme la rose turque, et apporter un peu de sensualité solaire grâce au jasmin cuiré ? Bien sûr, pour que cela monte un peu, la bergamote, qui se combine avec quasiment toutes les familles olfactives grâce à ses multiples facettes fruitées, acidulées et florales, arrosera le tout.

Redécouvert récemment dans une version des années 50 relativement bien préservée, Le Chypre de Coty paraît un peu daté, mais sa structure est très perceptible, le lien entre les notes que l'on sent dans l'air de Chypre devient évident, et l'on perçoit surtout la qualité des matières utilisées à l'époque, la tenue altière de cette structure ainsi que son mystère, fidèle aux légendes dont Chypre est la scène.

Le talent d'un parfumeur, une source d'inspiration, une muse omniprésente, ainsi naquit un accord mythique, emprunt de mythologie, de séduction féminine, d'histoire de terre et de plantes. Une histoire, riche et vraie, qui me semble alors être indispensable à toute belle création. Ne serait-ce pas aussi l'explication à quelques succès ?

L'accord chypré, pour la première fois mis en avant par ce parfum en 1917 est ainsi devenu un archétype, maintes fois reproduit, souvent enrichi pour ouvrir la porte de nouveaux horizons olfactifs, comme avec Mitsouko par exemple, qui y apportera la note fruitée de pêche, 31 rue Cambon qui l'adoucira de bois, Bandit, qui le cuirera, Aromatic Elixir qui y ajoutera des notes de rose opulente, et plus proche de nous For Her, où un coeur de musc d'une modernité étonnante ouvrira une nouvelle voie à cette famille, qui semble aujourd'hui définitivement trouver une place de choix.

Sources : Red Berry pour le parfum. Illustrations : le Temple d'Aphrodite, le Chypre de Coty vintage, Botticelli.

7 commentaires:

Anonyme a dit…

Je l'ai teste il y a quelques annees, on m'avait envoye un mini decant, le parfum precurseur de Mitsouko, une belle prouesse, l'invention du chypre, je l'avais trouve non pas date mais austere, d'ailleurs il m'apparaissait egalement moins lourd que Mitsouko, l'ancien Mitsouko dit vintage, plus baroque que le Chypre de Coty.

Cela dit, pour le consommateur moyen d'aujourd'hui, ne crois-tu pas que tout ce qui n'est pas frais, propre et fruite fait date?


Emma

Thierry Blondeau a dit…

Austère est en effet plus approprié pour Le Chypre, un peu comme ces monastères Byzantins de là bas.
Sinon, Karine Chevalier m'expliquait qu'il suffisait de mettre 1% de méthylionone à l'odeur de violette et de grenadine dans un parfum pour qu'il fasse daté aux yeux du grand public.
Je n'ose imaginer comment sont perçus Mon Parfum Chéri et Diane par exemple ?

Anonyme a dit…

En ce moment je redecouvre Les Pois de Senteur de Chez Moi de Caron en version originale/vintage, alors si 1% de violette et de grenadine ca fait date pour le grand public, je dois vraiment passer pour une vieille meme...quoique parfumee aussi retro que je suis, chaussee dans mes Louboutin, habillee en Balenciaga, Gaultier et Carven, ca m'empeche pas de me faire brancher par des beaux garcons de 20-28 ans!


Emma

Thierry Blondeau a dit…

C'est pourquoi les marques devraient faire ce qu'elles aiment, ce qu'elles sont, et rester fidèle à leur identité, leur style !
Notions qui, force est de constater, se perdent un peu dans des groupes aussi vastes que L'Oréal, LVMH Etc...

Thierry Blondeau a dit…

C'est pourquoi les marques devraient faire ce qu'elles aiment, ce qu'elles sont, et rester fidèle à leur identité, leur style !
Notions qui, force est de constater, se perdent un peu dans des groupes aussi vastes que L'Oréal, LVMH Etc...

Anonyme a dit…

me Toute la societe est portee par le jeunisme, les mannequins aujourd'hui ne sont pas des femmes mais des gamines de 16-17 ans au plus. Un parfum sophistique qui ne sent pas la framboise ou le gel douche, c'est un parfum de vieille, voila ou on en est arrive!

Emma

Anonyme a dit…

Pardonnez moi mais comment avez vous fait pour sentir un parfum qui n'est plus en vente depuis 1968 ?
alors là !!! Je suis vraiment stupéfaite !!
Dans les brocantes ?
Les antiquaires ?
Là y a un truc qui m'interpelle....
Y a t-il eu une réedition ?
Si oui, faites moi en profiter : dites moi quel vendeur le propose.
je meurs d'envie de le connaître ...
Tout comme les balenciagas : la fuite des heures, Quadrille.
Je possède Quadrille en extrait acheté en 1960 et à chaque fois que le sens c'est un voyage au pays des songes éveillée....
Mon Dieu que de nostalgie olfactive...