Alber Elbaz et couture ne font qu'un ! Dominique Ropion et parfums, c'est un peu la même chose. Quelle bonne idée a eu Frédéric Malle en réunissant le meilleur des deux mondes, à l'heure où le lien entre une marque et son identité dans la mode se perd souvent ! Pour preuve, si l'on cherche un lien entre les coupes parfaites des vêtements Lanvin créés par Alber (en photos ci-dessus) et les derniers parfums de la marque, il y a de quoi s'interroger non ?
De la même manière qu'un couturier actuel s'inspire des coupes et tissus du passé pour les repenser dans des textures technologiques permettant de nouvelles coupes et de nouvelles "expressions" du vêtement, le parfumeur découd le passé pour mieux le réinventer avec ce que la palette lui offre aujourd'hui. Je repense alors à ce que me confiait Dominique Ropion lors d'une soirée : "pour réinventer le parfum et créer de nouvelles formes, il faut connaitre ses classiques, les avoir travaillé, étudié, disséqué." C'est sans doute ce travail qu'il a accompli pour écrire Superstitious. Bien que Calèche, Arpège ou N°5 soient évoqués chez Frédéric Malle, j'imagine que c'est plutôt dans un des parfum les plus "couture" qui soit que Dominique Ropion est allé puisé son inspiration : le calme Silence de Jacomo, né en 1978. Logique non ?
Des aldéhydes fusants en tête pour soulever le galbanum et ses puissantes notes vertes, une trame charpentée faite de rose, de jasmin et de notes de chèvrefeuille, de la tubéreuse énigmatique et qui donne du corps, voilà pour le départ. De beaux bois nobles et choisis comme le vétiver et le santal apportent une structure solide et élégante. Les facettes animales de Silence ont été réinterprétées avec ce qui se fait aujourd'hui en matière de muscs de synthèse qui peuvent présenter des notes à la fois rondes, humides, fruitées et boisées. Des dérivés de l'ambre gris semblent avoir aussi été choisis là où Silence s'en servait pour mieux se fondre sur la peau. Comme tout bon chypre-vert qui se respecte, bien entendu, mousse et patchouli achèvent de convaincre, mais sous des facettes plus douces que ce qu'ils étaient à la fin des 70's. Tout ces traits sont communs aux deux parfums, pourtant, là où Silence parait cintré même dans sa version actuelle, Superstitious est plus joufflu, plus confit, plus vaporeux aussi. La ressemblance entre les deux est si flagrante qu'elle va même jusqu'à reprendre le code couleur sur le flacon et le packaging !
Sillage monumental, tenue parfaite, forme olfactive unanimement saluée comme étant une référence, comment rester insensible à la beauté de cette oeuvre qu'est Superstitious que l'on imagine parfaitement portée en mode vintage à Paris, New York ou Dubai, comme pour Portrait of a Lady du même parfumeur ?
Tant pis pour moi s'il fallait passer Silence sous silence, mais j'imagine qu'avec un tel nom, Frédéric Malle et Alber Elbaz font confiance au destin ! Mais si certaines choses ne se disent pas, ou que le rêve est trop lourd pour vous, oserez vous écoutez le silence ?
Illustrations : Frédéric Malle et créations Alber Elbaz pour Lanvin.