mardi 28 février 2012

Le complexe d'Idylle.

Je vous parle d'un temps où une personne importante chez Guerlain me confiait que la marque n'avait pas de grand floral, et que c'était dans cette optique qu'avait été lancé Champs Elysées. Celui-ci était pourtant resté très "français" dans ces notes, son style et son approche, un appétit plus grand nourrit la marque et ses ambitions. Il fallait donc, quelques années plus tard, après le rachat par un grand groupe et un changement de parfumeur qui allait apporté une rupture radicale de style, partir à la conquête du monde. L'idée de ce grand floral, chic, élégant, voire même un peu sophistiqué refait surface.

N'étant pas né dans le même contexte que lorsque Guerlain était une histoire de famille, réflexions de groupes, "brainstorming", études de marché et regard sur ce qui marche chez la concurrence ont, de façon assez évidente, joué un rôle dans le choix et l'orientation du style de ce parfum qui allait naître sous le nom d'Idylle.

Ainsi, même si, avec un peu de recul et quelques ajustements "formulatoires" classiquement réalisés par toutes les marques aujourd'hui dans le but de toujours améliorer leurs produits (et pas uniquement pour abaisser les coûts), Idylle mérite son entrée parmi les classiques de la maison, il n'a et n'aura pas l'aura de ses ainées. Une question se pose alors : pourquoi ?

D'un avis très personnel et par déduction, et comme une personnalité qui n'existerait qu'à travers celle des autres, Idylle ne souffrirait-il pas de complexes ?

Le complexe d'infériorité :
Idylle devait marquer une rupture en se projetant dans une vision mondiale, avec la difficulté que cela entraine. Seul un floral était "marketingement" susceptible de le faire. Ce parfum devait être moderne et débarrassé d'une guerlinade trop connotée française et trop apparente. Finalement pas si distinctif que cela pour un Guerlain sur un marché ou la concurrence fait aussi bien voir mieux, était-ce le bon choix ?

Le complexe de mimétisme :
Il n'est ainsi pas né de lui même, mais de l'observation de la concurrence, et l'on imagine bien qu'un parfum comme For Her de Narciso Rodriguez, succès mondial incontesté ait pu jouer un rôle. On retrouve ainsi dans Idylle la trame rose-patchouli-muscs-notes vanillées remise en avant par For Her.

Un autre parfum a du fortement influencé Thierry Wasser, lui, qui vient de chez Firmenich. Pleasures d'Esté Lauder, magnifique bouquet floral -musqué soutenu en fond par un patchouli très pur et ciselé dans un sillage légèrement boisé, succès mondial et emblématique d'un floral bien dans son temps, né chez Firmenich également, il ne pouvait qu'être lorgné par une maison Guerlain envieuse de cette fraîcheur de beau floral qui plait autant aux américaines bon chic bon genre. Cette inspiration ressort dans Idylle dans les notes jacinthe-pivoine-fleurs lumineuses, par le coté métallique argenté des notes vertes, et par la forte signature apportée par la muscs blancs, mais 10 ans après, n'était-ce pas trop tard ?

En filigrane, j'y retrouve également quelques traits évidents avec Comme une Evidence d'Yves Rocher, Firmenich lui aussi, comme si sans le faire exprès, l'idée d'un parfum "efficient" avait été constante et était ressortie inconsciemment dans la signature d'Idylle.

Le complexe d'affirmation de soi :
Même s'il installe le style voulu par Thierry Wasser, malgré la qualité indéniable et la recherche effectuée dans le choix des matières premières sélectionnées avec soin et qui signent un sillage reconnaissable, Idylle a du mal à exister par lui même et à s'émanciper. Son succès n'a à priori pas atteint les objectifs de la maison mère.

Est-il alors étonnant qu'un parfum complexé aie du mal à trouver un public ? Etre, plus que vouloir être n'est il pas finalement qu'une question de bon sens, oubliée des décideurs ? C'est précisément le point faible d'Idylle. Avec le temps, saura t-il s'affranchir de ses pairs, pour affronter ses complexes de face et mieux s'imposer ? Il n'en aura peut être même pas le temps, car le prochain est sans doute déjà bien en route. Gageons qu'il retiendra la leçon ... ou pas ?

Idylle, une véritable idylle avec le public, ou le complexe d'un parfum face à son public ?

Illustration : Oedipe Ingres, Guerlain.

samedi 18 février 2012

L'Eau Trois - Diptyque 1975 : per fumum.

Lorsque l'on écoute un requiem, la musique accompagne l'élévation de l'âme vers le paradis. Dans sa définition initiale, le parfum passe "per fumum", à savoir à travers la fumée de différentes résines comme l'encens que l'on fait fondre et par laquelle passe l'âme pour s'élever vers le ciel. Il est ainsi présent dans les recettes les plus anciennes utilisées dans les rituels funéraires, d'où ce lien très fort entre encens et église par la force de l'histoire.

Ainsi, il est difficile de parler d'un parfum d'encens sans évoquer pour certains des moments difficiles. C'est également pour cette raison qu'un parfum à base d'encens comme Passage d'Enfer, l'Eau Trois et la Série des Encens de Comme des Garçons n'est parfois pas évident à porter. Pourtant, tel un requiem, un tel parfum peut être envisagé comme un hommage qui permet une sorte de communion entre le ciel, l'âme et le corps, et de se raccrocher à une sorte d'apaisement, de quiétude dans nos villes souvent stressantes, pour peu que l'on y soit sensible. L'Eau Trois de Diptyque est un parfum qui n'a surement pas été conçu pour être porté tous les jours, mais la noblesse des ses matières et la façon dont il se fond à la peau de par leur texture invite à le porter pour soi, parfois, dans des périodes de la vie ou séduction et volonté de plaire deviennent secondaires au profit du repli sur soi et du recueillement. Apaisé, l'esprit se pose, et le parfum l'accompagne.

La résine d'encens est donc le pilier de ce parfum, et comme pour toute résine, je n'ai pas le sentiment de m'asperger de parfum quand je le mets, mais de me frotter avec une huile précieusement parfumée. La gestuelle devient quasiment un rituel d'onction du torse et les bras par cette odeur apaisante à la couleur ambre foncé. Encens, mais aussi aromates comme le thym, le romarin, note boisée de pin des landes, note fumée du cade, note cuirée du bouleau, puis un musc très doux à odeur "moussue et veloutée" de champignon de Paris et de mousse d'arbre en font un parfum qui rappelle les pierres et l'encens des églises avec une fidélité impressionnante, mais aussi une balade en forêt, l'hiver, avec ses fumées de feu de bois et de terre mouillée, ainsi que certaines de ces anciennes officines en bois ciré, où se bousculent alambics et vieux pots d'herbes précieuses aux vertus curatives.

Une oeuvre parfumistique en quelque sorte, qui porte en elle la beauté, la tristesse et la noblesse des Requiem de Fauré ou de Mozart. Un parfum monument, assurément une référence.

Illustration : William Blake - Diptyque.

"Que son âme repose en paix ! "

samedi 11 février 2012

L'Eau d'Ambre Extrême - l'Artisan Parfumeur 2001 : velours d'hiver.

Si vous êtes encore un peu novices et que vous ne savez pas de quoi on vous parle quand un journaliste, un blogueur ou un présentateur d'une émission parle d'une odeur d'ambre, courrez chez l'Artisan Parfumeur découvrir l'Eau d'Ambre, et prenez le temps de vous attarder sur les deux versions, car entre l'Eau d'Ambre et l'Eau d'Ambre Extrême, tout n'est pas qu'une question de concentration.

L'Eau d'Ambre est un parfum emblématique de l'odeur d'un ambre classique. Lorsque l'on parle de l'odeur de l'ambre, l'on parle de essentiellement d'une recette historique, parfaitement décrite au tout début du livre Les Parfums d'Elisabeth de Feydeau, et composée autour du ciste labdanum, de la vanille, du patchouli, et de notes résineuses, cuirées et baumées comme le benjoin, la myrrhe et le styrax. C'est aussi, dans l'imaginaire d'un parfumeur, la représentation olfactive de ces cristaux de résine aux couleurs chaudes et mordorées.

La nuance apportée par Jean Claude Ellena dans l'Eau d'Ambre est d'avoir su jouer avec une facette florale par l'ajout de géranium. Ceci a pour effet d'alléger la structure et de créer comme une envolée des notes lourdes vers quelques chose de plus fin, de plus subtil et féminin. Pourtant, il y a dans cet ambre évidemment chargé du couple ciste labdanum-patchouli encore quelque chose d'assez brut, comme un accord bergamote-lavande un peu "vieillot" et une note iris-violette qui manque un peu de finesse à mon nez.

L'Eau d'Ambre Extrême semble avoir bénéficié de plus de maturité et d'un choix plus pointu sur les matières utilisées. Il parait moins aromatique, plus contemporain que l'Eau d'Ambre, et le défaut que je ressentais disparait complètement au profit d'un accord vanillé-cuiré plus accentué. Cette vanille semble avoir été sélectionnée avec un soin tout particulier, et apporte à l'Eau d'Ambre Extrême une facette qui fait appel à notre gourmandise en faisant écho au sucre glace, au sucre vanillé et à un bonbon que nous connaissons tous : le Carambar. Sur moi, les épices se font discrètes et la note cuir n'arrive qu'en contrepoint pour souligner la subtilité de cet ambre vanillé diablement addictif. L'iris, bien présent à mon sens mais assez peu perceptible également est moins appuyé de violette, rend le tout plus cohérent, plus souple et plus intemporel. Bien sûr, le couple ciste labdanum- patchouli se retrouve, mais tout en finesse. En le portant, il m'oriente presque naturellement vers des matières comme le cachemire ou la laine noble, il me transporte dans une pièce aux couleurs chaudes, où velours profonds et cuirs épais font partie du décor. J'ai aussi parfois l'impression que Guerlain l'a disséqué pour en extraire ses plus belles facettes et les retravailler dans la collection l'Art et la Matière, notamment dans Cuir Belluga, dans lequel on retrouve le contraste appuyé vanille-cuir.

L'Eau d'Ambre Extrême, comme un parfum qui donne envie de se blottir et de faire des câlins, sous un velours d'hiver... Ne fait-il pas plus chaud tout d'un coup ?

Illustration : cristaux d'ambre, l'Artisan Parfumeur.