jeudi 29 décembre 2011

Jersey - Chanel 2011 : passé simple recomposé.

Il est parfois de ces chansons de variété en apparence simples et faciles à écouter, mais dont la mélodie fait appel aux instruments les plus perfectionnés et dont les paroles font écho à la sémantique la plus étudiée. Il est de ses tissus que le luxe méprise, pratiques, solides, facile à travailler, ils sont utilisés pour habiller les masses et bien souvent sans grâce. Il est de ces huiles essentielles dont la réputation est si usurpée et si commune qu'on en oublie leur noblesse. Il faut alors un regard expert, un peu d'audace et une bonne maitrise pour y déceler un potentiel et savoir en révéler la vraie valeur.

Jersey serait ainsi, en outre, pour moi, comme le personnage d'un tableau de Modigliani. Disgracieux, pas vraiment avenant au tout premier abord, au trait un peu lourd, mais qui, si l'on s'approche, dévoile une tendresse et une finesse indéniable et une maitrise du geste et de l'émotion vraiment palpable.

Dans ces premières notes et senti sur une touche, pour être honnête, je n'aime pas trop Jersey : la lavande est lourde, donne l'impression d'être envahie d'une vanille sucrée un peu grasse et épaisse, et d'une louche de muscs déjà bien affirmés. Pourtant, c'est dans son sillage que j'ai pu l'apprécier, sur une amie à qui j'ai demandé ce qu'elle portait. De ce sillage, je distinguais de la transparence, de la lumière et une légèreté digne d'un grand parfum, mais je n'étais pas capable de mettre un nom dessus. Le jeu entre une touche d'iris, un jasmin "iridescent" (sans doute issu d'une combinaison de vrai beau jasmin sambac traité avec une technologie avancée et d'hédione), forme comme un fil d'Ariane que je suppose supporté par la noblesse de l'absolu narcisse, que j'aime vraiment et qui apporte un vrai caractère, à la fois tendre et profond. Dans son évolution, la vanille et les muscs s'apaisent et dévoilent en fond des facettes délicieuses, à la fois douces, très légèrement cacaotées et cuirées. Elle m'avoua porter Jersey, qui lui fut offert par une autre amie, et qui n'avait ainsi plus rien à voir avec la toute première impression sur touche : Jersey, ou l'oxymore d'un cocon protecteur ouvert sur le monde ? Il irradie, polarise, attire irrésistiblement dans un style aromatique lavandé que je trouve finalement assez proche de ce que faisait Edmond Roudnitska avec Eau Sauvage et Diorella, tout en douceur et finesse, sans agresser l'entourage.

Jacques Polge renouvelle ainsi le tour de force qui était aussi le propos de départ, de redonner de la noblesse, de l'élégance et de l'éclat à une matière basique et bien souvent oubliée quand elle se revendique en soliflore.

C'est un vrai coup de coeur, que j'ai offert moi même à un membre de ma famille qui cherchait une lavande digne de ce nom pour remplacer son Pour un homme devenu "insupportable et agressif" de ses propres mots, et qui ne voulait pas de Brin de Réglisse à cause de son prix. Je crois avoir visé juste avec Jersey, qui a ainsi trouvé au moins trois clients : cette amie, ce membre de ma famille, sa femme et moi même, en tant qu'admirateur de l'oeuvre. Une lavande de peau et à sillage, qui rappelle ces paroles de Jacques Polge que j'ai lues un jour dans un magazine : "un vrai parfum ne se dévoile vraiment qu'au bout d'une heure, c'est alors que l'on en voit la richesse, la noblesse et la beauté". Il est vrai que cela nous remémore également qu'un parfum ne se sent pas que sur touche et en deux minutes. Une belle lavande, à partager à deux, un seul mot s'impose, et je ne l'ai pas dit depuis longtemps : bravo !

Bonnes fêtes de fin d'année à tous et rendez-vous en 2012 autour d'une fleur, pour une quatrième année qui s'amorce, déjà !

Illustrations : Jeanne Hebuterne en Jersey Jaune, Modigliani 1918 - Chanel 2011.

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