
Poussé par la friture de certains restaurants, happé par la viande grillée proposée dans d'autres, bousculé par les relents de hot-dogs partout, heurté par les dédales de poubelles à même le trottoir les jours de ramassage, agressé par les produits ménagers et dépoussiérants utilisés dans les halls d'entrées, les hôtels, les boutiques pour rendre leur univers un peu propre, l'être humain se retrouve à New York dans une cacophonie de bouffe, de produits chimiques et d'odeurs de saleté. C'est encore pire les jours de pluie quand les trottoirs renvoient leur remugles de pierre sale mouillée à nos narines sensibles. Le métro n'est pas en reste : il ne sent pas l'urine comme à Paris, mais l'asphalte, le ballast, le goudron.
Pour nous rassurer, il n'y a pas que des odeurs d'enfer : certaines boutiques jouent habilement de l'olfaction pour habiller leurs rayons et chahuter nos narines de chocolat chaud, de bonbons et de fleurs artificielles. Les vendeurs de chouchous si appétissants y vont aussi de leurs concerts. Le district fait des efforts pour planter des fleurs parfumées comme la jacinthe dans les jardins et dans de gros pots de fleurs le long des trottoirs fréquentés comme Broadway. Ainsi parfois, ces douces fleurs bleues qui peuvent faire penser à du muguet apaisent le tumulte ambiant.
Et le parfum dans tout ça me direz vous ? Ce n'est malheureusement pas le paradis : à la sortie des théâtres et des cinés le samedi soir, Time Square, c'est la foire au shampoing ! Ont été identifiés : la rose fluo de Very Irresistible de Givenchy (vive la France !), la pomme fleurie de Daisy de Marc Jacobs, la pomme verte shampouineuse de Be Delicious de Donna Karan (omniprésent), quelques accords muguets-thé vert de-ci-delà, quelques fougères masculines très banales et l'interminable flot tutti-fruiti. Hormis cela, rien de particulier ! Comme si ce n'était pas assez, s'ajoute à cela une distribution hasardeuse et chaotique, où il est quasiment plus facile de trouver une contrefaçon qu'un parfum original si l'on s'éloigne des grands magasins, le harcèlement quand vous traversez le rayon parfums de Macy's, de Saks ou de Bloomingdale's, le peu de références dans la grande enseigne française qu'est Sephora, où même Ck One n'a plus trop la cote, et l'on comprends que les new yorkais ne soient pas enclins à se laisser aller facilement aux plaisirs du parfum. En effet, par peur, par frustration, par dégout ou lassitude, ils se parfument peu dans leur globalité. Certains se risquent timidement aux parfums propres et purs, mais cela ne se remarque pas. Ainsi, Cartier de Lune, l'Eau de Lutens, Pure DKNY s'invitent, mais ne percent pas !
Alors imaginez le plaisir de suivre le sillage poudré et métallique d'un N°5 croisé tout à fait par hasard sur Fifth Avenue sur laquelle il est très approprié, où celui, devenu rare d'une tubéreuse chaude et sucrée du coté de Madison Square !

Il semble bien terminé le temps des Knowing, des Pleasures, des Gold, des Aromatic Elixir, car même si ces parfums continuent à se vendre outre Atlantique, on a tout de même le sentiment que New York est passé à autre chose : les parfums cools, propres, discrets et faciles, et surtout plus du tout luxueux et couteux semblent prendre le relai. Ces parfums "easy to wear", qui vous accompagnent sans se remarquer semblent avoir les faveurs du commun des mortels. En revanche, l'avalanche de "frui-frui girly pouff" associée à la jupe hyper mini, au maquillage funky et aux gros seins, continuent d'inonder le monde, ici plus qu'ailleurs (this is the world we live in !)
Alors non, New York n'est définitivement pas la ville du parfum et des belles odeurs, mais je l'aime bien cette grosse pomme un peu cracra, malgré tout, et j'y retournerai volontiers dès que possible !
Illustration : Hedda Sterne - New York VIII, Moma - Be Delicious de Donna Karan.