samedi 25 juin 2011

Mon Numéro 10 - l'Artisan Parfumeur 2011 : cotton club !

La découverte de nouveaux parfums s'accompagne parfois d'un rituel un peu snob ! "Mouai, bof, pas terrible, celui-ci, pas mal, mais aurait pu être mieux, pour celui-la, vous avez voulu plaire au plus grand nombre, hein c'est bien ça, pour cet autre, on y est bien, oui oui j'aime beaucoup". Et la vendeuse vous regarde d'un air "mais qu'est ce qu'il me fait celui là, pour qui il se prend? " Puis il y a celui qui soudain vous arrête et provoque en vous une émotion que vous avez du mal à dissimuler. Ainsi, après avoir profité de quelques soldes intéressants chez l'Artisan Parfumeur, vous repartez avec Mon Numéro 10 sur le poignet et avec un échantillon que vous testez le lendemain.

Le propos, c'est New York et plus particulièrement le grand magasin de luxe Barneys. Entrer chez Barneys, c'est entrer dans un luxe feutré, où les objets, les matières, les couleurs, les tissus et les effluves parfumées s'offrent à vous dans une douceur nonchalante et un luxe chatoyant. Tout d'un coup, le temps s'arrête, vous flânez, regardez, sentez et les minutes défilent.

Je n'ai pas envie de m'attarder sur les matières de ce parfum, car il me semble plus approprié de parler de ce qu'il évoque et de là où il m'emmène. Bertrand Duchaufour a parfaitement réussi à traduire cet univers. Bien sûr, on y devine qu'il a joué avec les notes qu'il affectionne comme le davana, le cuir, la myrrhe, les notes de pruneaux des alcools nobles dans lesquels on retrouve aussi des épices chaudes et des notes de vanille, mais il a fait de ce parfum un vrai mode de transmission d'ondes sinesthésiques : Mon Numéro 10 sent le bois ciré, le cuir patiné, la moquette épaisse, les tissus nobles, traduisant ainsi ce qui caractérise un aspect de New York, à savoir un style très confortable, assez "mat", feutré et très qualitatif que l'on retrouve dans la couleur de la pierre de certains immeubles, le bois de certains halls d'entrée, dans les moquettes épaisses de certaines boutiques, dans les couleurs choisies par des artistes peintres de New York, dans le son d'une contrebasse qui entame un swing ou celui d'une trompette de jazzman.

Comme si le temps était habité d'un charme rétro, Mon Numéro 10 vous emporte un soir à New York, dans un magnifique Penthouse avec vue sur la ville, il vous prend l'envie de jouer quelques notes de jazz au saxo en prenant un bon bourbon. You're in a good mood !

Jamais "too much", jamais lourd ou envahissant, Mon Numéro 10 reste fidèle à l'esprit de la marque. C'est un parfum qui vous habite, qui vous porte, et sans vous en rendre compte, vous vous laisser bercer, charmer, séduire par cette alchimie confortable. Et puis, un jour, vous vous apercevez qu'il pourrait bien vous rendre fidèle, un peu comme si vous entriez la première fois au Cotton Club, avec une seule envie en en sortant... celle d'y revenir !

Illustration : Denis Frémond, L'Artisan Parfumeur.

samedi 18 juin 2011

C'est la fête aux patchoulis !

40 ans ! Le bel age, celui de la raison et de la maturité. Pour un parfum, c'est un peu la frontière entre le tâtonnement des premières heures et l'atteinte d'un statut de parfum culte, qui restera au patrimoine de la parfumerie internationale. Le patchouli est à l'honneur. Indispensable à la palette du parfumeur, le patchouli est une matière qui est utilisée dans toutes les familles de parfums, dans lesquelles il apportera à la fois du montant, du coeur et de l'appui aux notes de fond. Le patchouli me fait l'effet d'une "matière de feu", il fait scintiller un floral, peut rendre une fougère chaude et sensuelle ou électriser une cologne. En outre, il se dit en milieux avertis que le patchouli aurait un pouvoir d'attraction et d'addiction, ce qui est intéressant lorsque l'on veut fidéliser. Ainsi, il n'a pas encore dit ses derniers mots, comme le prouvent les travaux que j'ai pu sentir jeudi dernier. Cette année, ce sont deux interprétations très différentes de cette matière première qui fêtent leur 40 ans ! Une belle occasion de faire un zoom sur ces deux chefs d'oeuvre.

Le tout premier à fêter l'évènement est le Patchouli de Réminiscence. Il ne plait pas à tout le monde c'est le moins que l'on puisse dire, mais son parti pris très engagé de "soliflore patchouli" lui a permis de trouver une clientèle. Ensuite, j'imagine que la qualité des matières employées dans ce parfum à contribué à fidéliser sa clientèle. En effet, les notes "baumées" telles que la vanille, le benjoin, le baume tolu sélectionnées avec soin par Robertet aujourd'hui jouent admirablement le contrepoint de la brutalité du patchouli qui représente plus de 50% de la formule. Quelques agrumes très légers, du bois santal aux accents lactés et quelques muscs blancs bien ronds lissent le trait. L'équilibre des forces ne joue pas la légèreté, mais plutôt sur des matières qui vont jouer avec la peau. Ainsi, s'il l'on goûte et que l'on aime Patchouli, il y a de fortes chances d'y revenir régulièrement, que l'on soit un homme ou une femme. Parfaitement androgyne, Patchouli est pour moi, comme tous les Réminiscence, un parfum de moment, qui fait appel au tactile, à l'émotion, à la sensualité, et ce serait peut être celui d'être blottis, à deux, sous la laine au coin du feu. Pour célébrer cet anniversaire, Réminiscence a choisi une édition limitée autour d'une récolte de patchouli de l'année 2010 avec l'Incroyable Patchouli. La formule est inchangée, mais la récolte est unique, et lorsque l'on sait que cette sélection de patchouli entre à plus de 50% dans la formule, c'est une belle occasion de varier ses habitudes sans trop prendre de risque avec un beau collector.

L'autre grand parfum culte travaillé autour du patchouli et qui fête cette année sa quarantième année est Aromatic Elixir de Clinique. Très différent du premier car il se détache du coté soliflore, il va chasser du coté des parfums chyprés, tout en restant très emblématique de la matière patchouli. Sa singularité, il la trouve dans un accord de roses assez "fluo" et criard qui jongle avec le patchouli dans un sillage détonnant mais très reconnaissable, la bergamote, le vétiver et la mousse de chêne n'étant que quelques éléments du décor. Précurseur des parfums emblématiques des années "gold" de l'Amérique et paradoxalement de la tendance "bio-aromathérapie", Aromatic Elixir demeure aujourd'hui le partenaire incontournable de la garde-rode parfums de toute amatrice qui se respecte, et reste le pionnier des roses chyprées réinterprétées aujourd'hui dans la famille des "nouveaux chypres" comme Coco Mademoiselle, Miss Dior ou For Her. Comme Patchouli, s'il est porté par un homme et que l'on ne sait pas que c'est lui, il étonne. Il se pourrait bien que Clinique célèbre l'anniversaire avec des animations et peut être aussi un collector.

Les deux parfums ont pour point commun d'être nés à une époque où l'envie de vivre et de s'émanciper voulait transgresser une liberté bridée. Il y a 40ans, les femmes travaillaient peu, les jeunes ne s'exprimaient pas si ouvertement qu'aujourd'hui, les minorités étaient regardées de travers, l'étranger se conjuguait encore avec une part d'inconnu. L'Europe émergeait, les pays de l'Est étaient dans un autre monde, la Chine ne faisait pas peur et le Japon était encore tout petit. Je suis peut être aussi d'autant plus touché par l'évènement que je suis né la même année que ces deux icônes. Aurais-je été inconsciemment bercé de patchouli, qui reste une des matières que je préfère ?

Je profiterais de cet anniversaire pour rappeler à vos nez aguerris deux autres beaux patchoulis : le premier Voleur de Rose de l'Artisan, dans un registre très transparent, vif, incisif avec un fond de pruneaux, et le second C'est la fête au Patchouli de Christian Lacroix, injustement oublié et très difficile à trouver de nos jours, qui serait une sorte de Patchouli de Réminiscence poussé sur la vanille et les muscs. Voilà, pour leurs 40ans, souhaitons donc un joyeux anniversaire à Patchouli et Aromatic Elixir. Force est de constater qu'en 2011, c'est la fête aux patchoulis !

Illustrations : feu d'artifice, Réminiscence, Clinique.

jeudi 16 juin 2011

Une journée pas comme les autres !

A nouveau membre de la Société Française des Parfumeurs depuis peu, j'ai assisté aujourd'hui à la grande messe qui regroupe tous les principaux fournisseurs de matières premières à parfum. Matières premières naturelles et de synthèse se partagent le devant de la scène pour enrichir la palette du parfumeur.

Je ne détaillerais pas tout ce que j'ai pu sentir, mais un constat s'impose : avec toutes les techniques d'extraction, de distillation et de traitement infligées aux matières premières, il est actuellement possible d'obtenir d'une matière un effet qui n'existait pas plusieurs années auparavant. De nouvelles nuances, marines, iodées, florales, font leur apparition sur le vétiver, le patchouli d'habitude très poussiéreux et humide devient presque transparent et limpide, le narcisse montre des facettes plus aériennes autour du cuir et de l'iris, le thé livre des secrets gourmands bien cachés.

La synthèse n'est pas en reste, avec un accent très fort porté sur les notes vertes et fusantes qui boostent les agrumes pour apporter une fraîcheur encore plus naturelle que le naturel seul. C'est étonnant ! Les travaux autour des notes fruitées continuent d'enrichir le propos : la fraise se subtilise, la framboise et le cassis voient s'ouvrir de nouveaux horizons. Les "bois blancs", les muscs blancs et les salicylates dévoilent aussi de nouvelles facettes.

De nombreux travaux portent également sur la recherche de notes plus "conformes IFRA" ou plus "transparentes" dans les parfums, permettant ainsi de gagner un peu de temps.

Bref, je retiens de cette journée de très belles matières senties, de beaux moyens mis sur la recherche de beaux effets qui enrichissent la subtilité des matières et leur richesse, mais je ne peux malgré tout m'empêcher de penser qu'il est dommage, constatant tout cela, de voir que le marché actuel sent le shampofruit, le patchoufruit et la fougère banale ! Heureusement, certaines marques et certains parfumeurs, plus que d'autres, sont attentifs et font des efforts pour exploiter ce magnifique capital. On se prend à rêver alors d'un avenir plus inspiré !

Illustrations : parfumeur au travail, racines de vétiver, graines de cardamome, feuilles de patchouli, fleur de narcisse.

vendredi 3 juin 2011

Aura - Swarovski 2011 : nous, nous, nous, c'est le goût !

On ne peut pas dire que Aura fasse partie des parfums que j'affectionne et encore moins des beaux et rares coups de coeurs qui marquent une année. Pourtant, quelque chose retient mon attention dans le sillage de cet Aura ! Un petit quelque chose qui me titille les papilles, comme une sensation familière qui vient de l'inconscient. Lors de l'élaboration de ce parfum, ne serait on pas aller chercher quelque part dans nos assiettes et dans la salle de bain un certain accord qui plait, car à la fois rare, original, noble et facilement reconnaissable : celui de la rose associée au litchi ?

Techniquement, il s'agit d'équilibrer un accord entre les différentes molécules que la rose a en commun avec la violette, la framboise, le géranium et le litchi. Ceci vaut à la fois pour la parfumerie mais aussi en cuisine et pour les arômes alimentaires. Ce travail avait déjà été amorcé par Mirage de Lancôme il y a de cela quelques années, puis il se retrouva en filigranes dans quelques lancements qui n'ont pas duré, et c'est avec Aura à mon sens qu'il arrive a son paroxysme. Alors, il ne serait pas étonnant d'apprendre que les arômes alimentaires aient joué un rôle dans la conception d'Aura. Cela prouve qu'il peut être amusant parfois d'associer parfum et cuisine. A ce propos, je me suis laisser dire qu'un atelier Mugler verra le jour dans ce sens à la rentrée. Prometteur de belles surprises me semble t-il ?

Mais revenons à un petit tour d'horizon de ce qui a pu inspirer Aura et sa trame de litchi rose, ourlée de muguet et d'ylang-ylang pour évoquer la transparence du cristal de la marque éponyme, le tout se fondant sur un accord légèrement vanillé, comme une pâtisserie dont nous allons parler ! Alors oui, il sera donc possible d'affirmer qu'Aura a bien puisé son inspiration dans la cuisine et sous la douche !! C'est parti !

... petite soirée tranquille :

Dans la cuisine tout d'abord, je relève le macaron qui porte le nom d'Ispahan d'un célèbre pâtissier parisien où l'on fait souvent la queue. Rose, litchi et vanille .... tient tient !!! Vous avez choisi de l'apporter pour le dessert !

L'une de vos invités, très à cheval sur sa ligne, préfère ne pas succomber à cette tentation et prendra un yaourt. Pas de soucis, il y a dans votre frigo la toute dernière trouvaille de Mamie Nova, qu'elle est allée cueillir elle même : le fameux yaourt gourmand au litchi ! Elle goûte et trouve qu'il ressemble beaucoup à Aura que vous portez ! Comment est-ce possible ?

Alors que vous venez de terminer avec vos amis le repas copieux et savoureux suivi du fameux macaron Ispahan, une petite tisane est la bienvenue. Pour redonner un peu d'aura et d'énergie à votre estomac, une petite infusion Délicatesse Rose-Litchi de Lipton vous tente t-elle ? Tient donc, ça ne vous rappelle rien ?

Ouf, la soirée se termine, les invités quittent un à un l'appartement et vous ne rêvez que d'une chose : une bonne douche avant de vous coucher. Et là, dans la salle de bain, machinalement, vous attrapez le gel douche Tahiti .... au Litchi ! Encore !

Moi, je n'ai donc qu'une chose à dire : ne seriez vous pas une addict sans le savoir ? Du gâteau à la douche, en passant par la tisane jusqu'au parfum que vous portez, et si l'on fait un tour dans votre cuisine, l'on remarque également un sirop Monin au litchi et un thé aromatisé à la rose et au litchi. Heureusement, vous n'avez pas tout sorti ! Ainsi, tout ce que vous aurez touché de près ou de loin pendant cette soirée joue sur la corde rose-litchi ! Comment, vous n'aviez pas remarqué ? Lâchez prise, vous êtes peut être sous l'influence d'une aura au delà d'Aura !

Illustrations : Swarovski (bijoux et parfums), Ladurée, Mamie Nova, Lipton, Colgate Palmolive.

lundi 30 mai 2011

Noa - Cacharel 1998 : bulle de muscs.

On l'aurait presque oublié, pourtant, il continue son petit bonhomme de chemin en France et ailleurs, souvent à très petit prix d'ailleurs à l'étranger (à Londres et en Allemagne). C'est dire s'il rencontre des fidèles ! S'il devait y avoir un parfum de colombe, qui évoque tout sauf la violence, il se pourrait bien que Noa figure en tête de liste.

Point de tête fraîche, de coeur profond ou de fond bien marqué, point de matières sombres, facettées, riches et texturées, tout le principe de Noa est fondé sur l'idée de bulle ronde, tout en douceur, avec une idée de légèreté et sûrement l'envie d'évoquer soit la plume, soit un coton blanc, soit un voile de tulle ; une chose est sûre, il m'évoque une envolée de bulles. Pour ce faire, le parfum est construit autour d'une boule de muscs blancs, dont il est devenu depuis 13 ans le marqueur incontesté. Globalide, Galaxolide, Tonalide, Célestolide, Ambretolide, Silvanone, Dynascone, Muscenone, on pourrait presque avancer que tous les muscs blancs possibles entrent dans ce parfum sous forme d'un véritable cocktail. Ils se relaient durant toutes les étapes de l'évolution de Noa pour structurer le parfum à la fois dès le départ, en son coeur et en fond. Tout n'est que muscs. Bien sûr, on devine de ci-delà quelques notes de rose et de jasmin, de pivoine légèrement abricotée, qui participent même à lui donner un aspect "nacré", mais elles se font bien discrètes.

Rien n'est plus doux, plus tendre qu'un tel parfum, revisité aujourd'hui dans la collection Muscs de Tom Ford et dans d'autres marques plus tendance. Il inspire également les parfums "propres" qui pullulent de nos jours avec trop souvent des relents de lingettes pour le corps. Contrairement à ceux-ci, Noa garde une identité, et un caractère fort. Il est agréable de le croiser, parfois, au détour d'une rue. Comme une bulle de coton, Noa sent la paix, avec soi, le monde et les autres .... le monde s'arrête, il n'a pas pris une ride. Calme, paix, sérénité, n'était ce pas le message véhiculé par This mortal coil avec la musique Song to the siren lors de sa sortie ?

Illustrations : Cacharel, recherche Google.

dimanche 15 mai 2011

Womanity - Thierry Mugler 2010 : l'ADN d'un gagnant !

Il y a un peu plus d'une semaine maintenant se déroulait la cérémonie de remise des prix du parfum 2010 organisée par la Fragrance Fondation. Le prix des parfumeurs, remis par un jury constitué uniquement d'un panel de parfumeurs professionnels a consacré cette année le parfum Womanity de Thierry Mugler, qui appartient au groupe Clarins. Womanity l'emporta sur Like This par de vrais arguments techniques, esthétiques et de communication. Il est en outre rassurant de voir que les parfumeurs, appartenant à des sociétés de création différentes, se sont affranchis de leurs entreprises, et de voir ce prix remporté par un parfum grand public.

Alors pourquoi les parfumeurs ont voté pour ce parfum ? Voici quelques pistes.

1) La Forme :
Lorsque vous croisez Womanity dans la rue, reconnaissez qu'il ne ressemble a aucun autre! En outre, il est impossible de le classer facilement dans une famille olfactive : florale, fruitée, gourmande, salée, boisée, aucune case ne lui est ouvertement adressée, ce qui augure un bel exercice de style et un parti pris innovant.

2) Le Sillage :
Le sillage de Womanity est puissant et très fortement polarisant. Plusieurs parfums ont exploré la figue, mais aucun n'est allé aussi loin dans l'idée de faire le lien entre le gustatif et l'olfactif, car ils se contentent souvent de rester purement figuratifs. Ici, la volonté d'explorer la piste d'un chutney à la figue est traduite de manière très aboutie. Le sillage est unique : à la fois fruité et vert grâce à la figue "pulpe du fruit", il s'accommode de notes boisées lactées qui font le lien avec les autres parfums Mugler et la figue. Un bouquet d'un effet "fleurs blanches solaires" agrémente l'ensemble, donne une structure solaire et luxueuse à la diffusion du parfum. Enfin, la note caviar obtenue par extraction moléculaire vient faire picoter les papilles de ceux qui suivront son sillage. Le sillage est à la fois floral, marin, boisée et effectivement sucré-salé. Tout cela affirme une forte personnalité, sur laquelle je n'apporterais qu'une seule réserve : une concentration moins intense eut été souhaitable ou alors, carrément l'inverse, un bel extrait mettant en exergue les plus belles facettes de ce sillage (figue profonde et charnue, bois chauds et jasmin solaire), encore faudrait-il qu'il y ait une clientèle. Womanity n'a cependant pas encore dit son dernier mot, car je suis certain qu'à l'instar des autres parfums Mugler, certaines facettes vont être explorées par la suite autour de ce beau potentiel.

3) La Technique.
L'axe le plus marquant des choix techniques de Womanity sont la note figue et la note caviar développées par Mane. La technique d'extraction moléculaire permettant de restituer au plus près l'effet naturel du gustativo-olfactif étant à ce jour très aboutie, la palette du parfumeur s'élargit considérablement. Ici, elle a permis de donner naissance à une note très fidèle de caviar et d'une belle figue fraîche et juteuse. Cette technique ouvre également de nouvelles pistes, dont celle, dont nous entendrons parlé entre autre avant la fin de l'année, de pouvoir reconstituer l'odeur d'une goutte de sang et de sperme dans le parfum d'une Lady Gaga qui voudra faire des ravages (info à vérifier cependant). Womanity est un des premiers parfums à revendiquer ouvertement ces choix techniques, toujours orchestrés, bien sûr par des parfumeurs, en l'occurrence Fabrice Pellegrin et Mathilde Bijaoui, sous la direction artistique de Pierre Aulas.

4) Autour du parfum.
Soulignons également les choix environnementaux, car Womanity est un parfum entièrement développé dans une logique de développement durable, que ce soit pour le carton recyclable de chez Tullis Russell, les flacons ressourçables et la fabrication plus écologiques. La communication explore également de nouvelles pistes en jouant à fond la carte communautaire. Des liens se créent entre femmes, et même entre passionnés, autour de ce parfum innovant. Le discours, les objectifs et la volonté réelle de la marque se fait entendre et comprendre.

Pour toutes ses raisons, et également une autre, plus "inconsciente" de contenir en lui l'odeur caractéristique que je perçois en entrant dans un labo de parfumeur, Womanity fut élu par ce jury. C'est pour tout cela que je le qualifie de parfum de parfumeurs, un parfum, peut être aussi comme ils aimeraient en faire plus souvent ?

Souhaitons donc une longue vie à Womanity et à la marque Mugler, qui, en faisant un choix audacieux et prospectif dans le marché actuel, ne choisit pas de se "prostituer" pour séduire les masses. A bon entendeur !

Illustrations : Thierry Mugler - ADN, Womanity. Figue fraîche.

mardi 10 mai 2011

Fougères Méditerranée.


Fougère ! Un mot qui évoque nos forêts franciliennes où on la trouve partout. En parfumerie, fougère est une famille olfactive construite autour de la bergamote, du géranium, de la fève tonka ou coumarine, de la lavande et de la sauge sur un lit de mousse de chêne et des notes actuelles qui en sont dérivées. L'interdiction de cette dernière déclencha de nombreux débats, mais il n'en est pas moins que les parfumeurs doivent aujourd'hui travailler avec autres chose. L'un des substituts à la mousse de chêne se nomme Evernyl, dont un des parfums les plus représentatif serait à mon sens l'Eau de Rochas pour femme. Aujourd'hui cette note est revendiquée dans le tout dernier Legend pour Homme de MontBlanc, et c'est une belle occasion de revenir sur une famille de parfums masculins que je définirais par : fougère Méditerranée. Grâce à l'apport des salicylates, les aromates, la lavande, le géranium et sa note un peu "savonneuse", cette famille prend des airs de vacances en Méditerranée.

Tout commence au début des années 90. Les masculins de l'époque sont très affirmés, tournant souvent autour d'accords boisés bien typés, de fougères savonneuses et de Colognes plus ou moins nobles et chyprées. Un des tous premiers à renouveler le genre par une note plus douce est Minotaure de Paloma Picasso en 1992. Sa note sucrée-vanillée très légèrement indolée, très solaire rencontrera de nombreux adeptes à travers le monde.

En 1994, Roma de Laura Biagiotti lui emboite le pas, en explorant déjà un peu les notes boisée chaudes. Dans son pays d'origine, c'est devenu quasiment un mythe, et il rencontra un succès d'estime ailleurs en Europe.

Une petite marque joue a fond la carte de la méditerranée en 1995, Nikos, avec Sculpture pour homme, ouvertement inspiré par la Grèce. Pourtant sans doute à cause d'une communication trop ciblée, il se fera très discret dans nos contrées.

Ces trois parfums vivront timidement mais, sans trop que cela ne se voit encore, ils amorcent un accord de fond de la parfumerie masculine contemporaine.

En 2004, avec la même recette fougère-vanille-salicylates, c'est Cerruti Si qui tente une percée. Timide pourtant, peut être à cause de son flacon et de sa publicité, sans doute trop froids et ayant occulté la "méditerranéenneté" du parfum ? Si ne dira jamais "oui" au succès, et restera dans l'ombre de 1881 et de Image homme. Pour être honnête, il y a quelque chose que j'adore dans ce parfum, croisé plusieurs fois à Paris et à chaque fois diablement addictif.

Aujourd'hui, Legend tente une nouvelle approche, toujours très inspirée par le Sud, mais plus raffinée, plus élégante. Une très belle bergamote ciselée comme un zeste très vif et soulevée par la coumarine et la fève tonka, ainsi qu'une lavande transparente annoncent déjà un parfum dicté par le soucis du détail et de la finesse dans le choix des matières. La note géranium est appuyée par ses dérivés plus fins. Des aromates (thym, romarin, sauge), et une assez belle dose de salicylates nous emportent en bord de mer. Enfin, l'évernyl, de par sa profondeur et sa texture à la fois métallique, minérale et "mouillée", joue sur une virilité délicate en soutenant le tout. Olivier Pescheux avait pour mission d'apporter un peu de chic et de tenue en revenant aux grands classiques de la parfumerie pour homme pour MontBlanc. Oui, tous les codes sont présents, parfaitement à leur place, maitrisés dans un parfum chic à la fois classique et contemporain. J'en profite également pour faire une petite parenthèse et parler de Présence pour homme, l'autre beau masculin de la marque, dans lequel je retrouve quelques traits boisés-muscs blanc de Méchant Loup (le parfum).

Comme je le disais plus haut, cette famille des fougères méditerranées annonçait une tendance de fond. Les parfumeurs devaient le sentir, car deux gros "cartons" de ces dernières années y puisent leurs racines en atténuant largement la douceur vanillée sous une avalanche de bois ambrés bien virils. En effet, en comparant 1 Million, Pour Homme d'Yves Saint Laurent et un des parfums que je cite, vous comprendrez surement d'où ils viennent. C'était il y a presque 20 ans ! Parés pour chasser le Minotaure à Nikos en disant oui à la légende ?

Illustrations : image de la Méditerranée - marques Paloma Picasso, Laura Biagiotti, Nikos, Cerruti, MontBlanc.