mardi 10 avril 2012

A Men, le goût du parfum sublimé de piment rouge - Thierry Mugler 2011 : voyage gustatif en forêt noire ?

Fin 2011, j'étais passé relativement rapidement sur ce parfum qui fait partie de la collection de variations sur le thème de A Men. Ceux-ci, qu'il soient Pure Coffee, Pure Malt, Pure Havane, sont tous, je le remarque à mon détriment car je les ai laisser passer, voués à devenir collectors. Collectors, de par leur flacon, mais aussi par leur fragrance, qui, à chaque fois, étonne, surprend en envoyant valser les tonalités chaudes de A Men vers des territoires que l'on imagine pas à priori. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre, A Men se métamorphose.

Pour les variations sur le thème du goût du parfum, la marque Thierry Mugler enrichit l'accord de base d'un extrait de piment rouge. Et le résultat est surprenant : très présent, le café se dévoile immédiatement en duo avec cet extrait de piment, mais ce qui me surprend aujourd'hui, c'est le résultat de cet accord. Les notes de tête, finalement, me font plutôt penser à des notes de cerise noire et donc, pas extension à la fameuse Swarzwald Kirschtorte, succulente forêt noire.

Poussé par le café, relevé par le piment, le chocolat originel de A Men devient plus intense, plus corsé, la vanille se révèle presque réglissée et safranée, dans un accord au final assez sombre, qui serait d'une couleur entre le noir et le pourpre. Gustatif en diable, l'évolution sur peau se fait boisée, le cèdre et le patchouli réchauffent le tout, et curieusement, se mêlent au chocolat noir pour réveiller un accord qui rappelle subtilement et sans excès, la noix, accord que l'on trouvera également dans le fond d'un autre beau parfum : Chypre Rouge de Serge Lutens.

Jamais aussi sucré que son ainé, plutôt sombre, corsé, intense, la griotte/chocolat de A Men le goût du parfum est une très belle innovation, un excellent travail sur le gustatif appliqué au parfum, tout en subtilité. C'est une série limitée, et, comme pour les autres variations, c'est dommage, mais c'est aussi le jeux.

Illustrations : Schwarzwald Torte (forêt noire), Thierry Mugler.

dimanche 1 avril 2012

Le nouveau visage de deux figures : le sportswear.

En cette année 2012, deux parfums masculins ayant rencontré un certain succès sur le marché depuis leur lancement effectuent un virage à 360° de la direction olfactive de leur forme originelle. L'un, au départ très vif et frais, fusant même, développe son coté cocoon et doux en accentuant une facette ambrée vanillée assez proche de la peau, l'autre, ambré, gourmand, chaud et enveloppant à la base, choisit de partir sur le territoire de la fraîcheur.

Deux parfums différents, deux figures emblématiques de la parfumerie masculine à succès, qui se tournent vers leur opposé au même moment, je trouve cela intéressant, comme s'il n'y avait pas de hasard pour trouver le ton juste au bon moment.

Le premier, c'est Allure Homme Sport, né en 2004 soit 5 années après Allure Homme sur l'idée d'en faire une interprétation plus sportive, plus vive et plus "orangée" d'Allure Homme, qui choisit en 2012 de renforcer sa concentration par une version extrême.

Le second, c'est A-Men, né en 1996, et qui, 16 ans après ce lancement et après plusieurs tentatives relativement infructueuses, trouve enfin une voie équilibrée et crédible sur le territoire de la fraîcheur, avec A-Men Pure Shot.

Pour Allure Homme Sport Extrême, Jacques Polge s'est appliqué à arrondir les angles un peu trop vifs que l'on pouvait reprocher à Allure Homme Sport. En effet, ce dernier, avec des notes parfois agressives et percutantes, pouvait parfois déplaire car, même s'il était fortement signé, il "criait" un peu trop. Ce qui change dans la version extrême, c'est la maturité atteinte par l'accord de départ.

Déjà présente dans le "basique", l'accord ambré vanillé est ici sublimé, développant une facette miellée beaucoup plus douce et très à fleur de peau. La facette "cuir" de l'original est également renforcée (sans doute par un ajout de sudéral), donnant vraiment l'impression d'un cuir pleine fleur, épais et de qualité. Allure Homme Sport Extrême est beaucoup plus "à fleur de peau" qu'Allure Homme Sport, mais aussi qu'Allure, car il réussit à gommer les défauts que pouvaient avoir l'un et l'autre à savoir une dose de Dihydromyrcenol un peu trop envahissante. Oui, il s'agit d'un parfum commercial, efficace et facile à vivre, mais comme il réunit le meilleur de deux versions qui ont fait leur preuve, il est difficile de lui reprocher cette orientation.

Pour A Men Pure Shot, l'idée était de s'aventurer sur le territoire de la pureté et de la fraîcheur en partant d'un accord café-chocolat plutôt gourmand et rond de A-Men. Je dois avouer que pour une fois, ce qui n'était pas le cas avec Ice-Men et A-Men Summer Flash, le résultat n'est pas dissonant et ne tombe pas dans la vulgarité d'un accord "qui sent le poil" dans lequel se vautraient les deux autres. Là, la justesse de l'accord semble avoir été trouvée en allant regarder du coté de Play de Givenchy, car la rhubarbe apporte ce qu'il faut de lumière aux cotés de l'orange, du basilic et de la menthe pour rafraichir l'artillerie de notes gourmandes comme le café, le chocolat, le caramel, les bois blonds et le cèdre. Un accord muscs blancs - salicylates arrondit le tout ans en faire trop dans le "facile". La trame aromatique lavandée de A-Men demeure, et l'on à l'impression qu'il reprend quelques traits du défunt B-Men, mais l'évolution sur peau est très maitrisée, presque "solaire" et il est alors possible d'envisager de porter A-Men Pure Shot même par temps chaud, sans envahir, tout en douceur et ça, c'est vraiment nouveau.

Les flacons, très cohérents avec leur contenus, accentuent ces directions opposées, l'un choisissant d'assombrir sa teinte comme pour dire "je suis plus intense que celui d'à coté", l'autre de se parer d'un blanc "céramique" faisant écho à l'univers épuré et technologique d'un Apple Store ou des voitures électriques dernier cri par exemple.

Masculins, il ont tous deux en commun de réussir à renforcer l'aspect sensuels de leur ainé, et si le parfum n'est plus du luxe aujourd'hui, ces deux là l'envoie dans l'univers du sportswear urbain avec une longueur d'avance sur ceux qui n'en sont encore qu'à sortir leur variante "sport" pour l'un, et avec le recul qu'il fallait pour qu'il trouve enfin son pendant "frais" pour l'autre.

Illustrations : David Beckham Sportswear 2011, Chanel, Thierry Mugler.

dimanche 25 mars 2012

La Pureté, Tome 1 - Zadig et Voltaire 2012 : la chasse urbaine.

Vous êtes une marque implantée depuis une dizaine d'année sur un marché de prêt à porter. Votre image est essentiellement fondée sur une qualité de matières, de techniques et de coupes qui favorise le contact entre le vêtement et la peau pour que ce dernier vous sied à merveille en sachant se faire oublier. Cette qualité bien réelle vous oblige cependant à pratiquer des prix élevés, qui vous attirent une clientèle argentée. Votre inventivité et votre audace dans les coupes font que cette clientèle est relativement jeune, exigeante, branchée, urbaine, et officiant certainement dans des milieux citadins, créatifs, urbains, baignés de palettes graphiques, d'i-pad, d'encre de couleurs, de photocopieurs, le tout dans une ambiance fonctionnelle et pratique, ou parfois, un simple bouquet de fleurs ou une plante apporte une touche de vie. Si c'est un bouquet de lys ou un pot de jasmin, cette touche de vie est non seulement esthétique, mais aussi olfactive, ces fleurs dégageant des effluves sans retenue dans ces lofts, ateliers, studios de design. Vous avez tardé à lancer un parfum, sans doute, parce qu'il fallait ne pas se louper, choisir le bon chemin, la bonne idée, le bon fil conducteur. Et, en écrivant cet article, il se déroule naturellement.

Urbain, moderne, faisant appel à de belles matières et faisant corps avec la peau, voilà sans doute le leitmotiv ! Pour celui-ci, s'il y avait une ambiance urbaine déjà toute tracée, il fallait trouver une voie olfactive. Vos observateurs, car vous êtes très bien conseillés, vous orientent presque naturellement vers des notes urbaines de goudron, de plastique chaud et de cuir, qui seront la trame commune du féminin et du masculin. Pour apporter une touche de fraîcheur dans cet univers très citadin, très froid, un parfumeur vous fait remarqué que le jasmin par sa facette animale, se marierait à merveille avec ces notes. Ainsi, une grande brassée de jasmin frais et de fleurs blanches virginales et pures se glisse pour apporter lumière et chaleur à ce fourreau assez froid : vous tenez votre tome 1, ce sera La Pureté. Ce parfum, vous choisissez de le relever d'une note proche de la graine de sésame grillée, plus présente dans le féminin que dans le masculin mais pour les distinguer cependant, le féminin accentuera les fleurs blanches grâce à la fleur d'oranger et à une note de sucre glace, le masculin, lui, choisira de s'orner de cèdre.

Avec des inspirations aussi intéressantes qu'Escentric Molecules pour l'aspect urbain froid, les nouvelles molécules "vivant avec la peau", que La Chasse aux Papillons pour le coté jasmin frais-fleurs blanches-fleur d'oranger-notes boisées cuirées, vous avez toutes les clés du succès. En plus, comme vous restez très fidèles à votre style, à savoir que ces parfums se portent comme vos vêtements, à même la peau en se faisant oublier, vous tenez là toutes les clés d'un succès que l'on vous souhaite.

Un brin étrange sur touche et surtout dans les toutes premières notes, mais subtilement étudié dans une vision contemporaine du parfum, à savoir une odeur qui vous habille sans vous envahir plus qu'un parfum qui n'existe que pour lui même, La Pureté vous accompagnera au gré de votre vie dans une harmonie de style qui vous sera propre, et signera votre sillage, l'air de rien. Vous l'oublierez, il se rappellera si vous en avez besoin, par bouffées, dans un mouvement, dans l'intimité, à même la peau. Pour moi, La Pureté conjugue beaucoup trop d'éléments de cohérences et d'intelligence pour qu'il ne marque pas un tant soit peu les lancements de cette années 2012. Une marque que j'aimais déjà pour ses pulls, ses cachemires, avec lesquels ce parfum assure une parfaite continuité. Pour ma part, je craque complètement sur la facette jasmin, et je porte le masculin comme un La Chasse aux Papillons masculinisé et "défigurativisé", comme une chasse urbaine, contemporaine, sans fioriture. Le prix sait se contenir, ce qui n'est pas une habitude de la maison, mais c'est le bon choix pour se faire adopter. Avec -20%, le 50ml m'a couté 38€, c'est dire ! Une démarche novatrice, une oeuvre parfumistique qui change relativement l'approche classique du parfum, tout cela est réjouissant et à encourager.

Illustrations : architecture - maison de béton au Japon, Zadig & Voltaire, Yves Rocher.

jeudi 8 mars 2012

Quoi de neuf docteur ?

On nous annonçait une année 2012 plus raisonnable, plus mûre, plus responsable et réfléchie, mais j'ai comme l'impression que le nombre de lancements est tout aussi important que l'an dernier, mais qu'une tendance à "l'improvement" s'amorce, même si des progrès restent à faire. Je vous propose donc un petit tour d'horizon rapide des quelques nouveautés senties sur ces 2 derniers mois. Quatre courants ressortent de ce tour d'horizon.

La discrétion :
Chez Lanvin, Avant Garde monte la garde mais de manière somme toute assez timorée. Même si le soucis de faire mieux et plus dans la finesse que les derniers blockbusters, la recette manque peut être un peu de ce petit quelque chose de magique que l'on attend d'un parfum avec un tel nom. Ni futuriste, ni avant-gardiste, mais pas si mal que ça pour un lancement très grand public, je crains personnellement qu'il ne reste que timidement en bas des rayons.

De "l'Eau" plus qu'il n'en faut :
Une des tendances cette année est la prolifération des "Eaux" d'à peu près tout ce qui existe. Plus fraiches, plus vives, elles sont sans doute plus faciles à porter, et complètent des gammes qui ne peuvent plus s'en passer, pour les jours plus "cool".

L'Eau de Chloé introduit une note verte dans la trame du parfum d'origine, et la complète par une bonne gorgée d'agrumes qui le rend peut être un peu plus accessible et moins intense. Ce n'est pas mal fait, mais ça n'apporte rien de spécial à ce parfum qui évoque la fraîcheur de par sa propre signature.

Guerlain Homme l'Eau boisée : attention, ne vous voilez pas la face. Celui-ci semble avoir été étudié pour plaire à des nez un peu initiés au premiers sniffs. Faisant illusion pas sa note boisée fumée de vétiver marin assez présente et profonde dès les premières notes, on dirait qu'il cherche à rattraper le coup d'un parfum qui n'a jamais vraiment trouvé son public. Hélas, malgré cela, au bout d'une demie heure, vous ne sentez plus le bois fumé, mais l'after shave et l'odeur de mousse à raser d'une fougère bien classique. Inutile de perdre votre temps, et je ne comprends toujours pas pourquoi cela chez Guerlain.

Pour Azzaro Homme l'Eau, la démarche est différente. Apporter un peu de fraîcheur à un parfum emblématique et revendiqué comme une "vraie" fougère n'est pas dénué de sens. Subtilement rajeuni, rafraichi, il flirte avec des eaux classiques comme Green Water de Jacques Fath par l'ajout de notes citronnées, aromatiques et une toute petite pointe marine qui lui donne quelque chose de moderne et de vif comme pourrait l'avoir CK One. Pas mal, et sur peau, la signature originelle est bien là, plus subtile.

Du sport à vous épuiser :
Seconde tendance : le sport à tout va, confirmant ainsi le fait que le parfum quitte définitivement le discours du luxe qu'il véhiculait pendant de longues années. L'Eau d'Issey Homme Sport garde la trame de l'original pour lui apporter un souffle vif de citron vert et de menthe qui donnent une vraie bouffée de fraîcheur au parfum, mais hélas, le fond chargé en "bois ambrés" cassent ce bol d'air pur pour devenir étouffant "à la One Million". Dommage, il ne fallait peut être pas vouloir plaire autant en jouant sur les deux tableaux, et l'original se suffit donc à lui même.Coup de chapeau en revanche pour le packaging, bien conçu, bien fait, et très cohérent avec l'esprit recherché.

Dior Homme Sport, lui, s'émancipe pour se rapprocher de son ainé Dior Homme. Subtilement et très adroitement remis dans la lignée de la famille, il prend son envol, sa signature en devient plus crédible, plus noble, et le gingembre peut enfin révéler toute sa douceur dans la continuation de l'iris en évitant maintenant le coté froid qu'il pouvait avoir dans la première version. Une reformulation intelligente et bien faite, que l'on attendait depuis le début.

Fraicheur, sport et jeunesse aussi chez Procter& Gamble avec Lacoste L12.12 Red et The One Sport de D&G. Pas très intéressants dans l'absolu, le premier n'est pas pour autant le pire de la gamme avec ses notes de mangue et de camphre qui finalement collent assez bien à l'esprit sportif et jeune revendiqué par la marque. Les notes de tête et l'évolution sur peau ne sont pas désagréables, mais tout cela ne révolutionne rien du tout, on améliore juste les recettes de Polo Sport, et Hugo. Le flacon,lui, reste un bel objet de design. Le second, chez D&G souffle un vent de citron insipide, c'est propre, "fresh & clean", mais rien de plus.

Les Ovni. Et oui, ça existe :
En ce début d'année, un Ovni voit le jour parmi le maintsream : SpiceBomb. Reprenant quelques éléments de Lolita Lempicka pour Homme pour sa facette anis-muscs blancs, de Le Mâle pour son coté très doux-cèdre, de Bang pour ses notes poivrées vertes, et de CK One Shock pour le fond ambre- tabac, SpiceBomb réussit à se trouver une force et une personnalité propre. A découvrir, car il se démarque avec justesse et un propos cohérent qui en fait une belle surprise.

Un autre ovni est encore peu trouvable en France, c'est Potion de DSquared. Bel aromatique épicé couvert d'anis et de cannelle, très typé, très musqué, il jour les originaux pour se positionner avec une signature franche, à la fois fraîche et chaleureuse dans un équilibre bien trouvé et avec une audace maitrisée sur le marché assez morose des parfums masculins. A découvrir absolument si vous tombez dessus.

Le dernier vient de chez Odin, ou 07 Tanoke se révèle comme un encens subtilement rafraichi de mandarine et de gingembre (que l'on adore chez Odin et qui contribue à la signature de la marque), et sublimé de vétiver et de bois fumé en fond, un peu à la manière de Tom Ford Extrême. Il vous adopte aussi facilement que vous l'adoptez, et, ainsi, même s'il va chercher quelques inspirations du coté de chez Incense de Comme des Garçons, il est très addictif et dépasse presque ses inspirateurs car plus subtilement travaillé. Une marque à découvrir, et chez qui personnellement j'adorais déjà 01 Nomad pour sa personnalité.

Il ne me reste plus qu'à vous souhaitez une bonne découverte et à revenir vers vous pour des nouveautés que j'attends de sentir, chez Guerlain, D&G, et bien d'autres...

Illustrations : Lanvin, Chloé, Azzaro, Issey Miyake, Dior, Lacoste, Victor & Rolf, DSquared, Odin.

mardi 28 février 2012

Le complexe d'Idylle.

Je vous parle d'un temps où une personne importante chez Guerlain me confiait que la marque n'avait pas de grand floral, et que c'était dans cette optique qu'avait été lancé Champs Elysées. Celui-ci était pourtant resté très "français" dans ces notes, son style et son approche, un appétit plus grand nourrit la marque et ses ambitions. Il fallait donc, quelques années plus tard, après le rachat par un grand groupe et un changement de parfumeur qui allait apporté une rupture radicale de style, partir à la conquête du monde. L'idée de ce grand floral, chic, élégant, voire même un peu sophistiqué refait surface.

N'étant pas né dans le même contexte que lorsque Guerlain était une histoire de famille, réflexions de groupes, "brainstorming", études de marché et regard sur ce qui marche chez la concurrence ont, de façon assez évidente, joué un rôle dans le choix et l'orientation du style de ce parfum qui allait naître sous le nom d'Idylle.

Ainsi, même si, avec un peu de recul et quelques ajustements "formulatoires" classiquement réalisés par toutes les marques aujourd'hui dans le but de toujours améliorer leurs produits (et pas uniquement pour abaisser les coûts), Idylle mérite son entrée parmi les classiques de la maison, il n'a et n'aura pas l'aura de ses ainées. Une question se pose alors : pourquoi ?

D'un avis très personnel et par déduction, et comme une personnalité qui n'existerait qu'à travers celle des autres, Idylle ne souffrirait-il pas de complexes ?

Le complexe d'infériorité :
Idylle devait marquer une rupture en se projetant dans une vision mondiale, avec la difficulté que cela entraine. Seul un floral était "marketingement" susceptible de le faire. Ce parfum devait être moderne et débarrassé d'une guerlinade trop connotée française et trop apparente. Finalement pas si distinctif que cela pour un Guerlain sur un marché ou la concurrence fait aussi bien voir mieux, était-ce le bon choix ?

Le complexe de mimétisme :
Il n'est ainsi pas né de lui même, mais de l'observation de la concurrence, et l'on imagine bien qu'un parfum comme For Her de Narciso Rodriguez, succès mondial incontesté ait pu jouer un rôle. On retrouve ainsi dans Idylle la trame rose-patchouli-muscs-notes vanillées remise en avant par For Her.

Un autre parfum a du fortement influencé Thierry Wasser, lui, qui vient de chez Firmenich. Pleasures d'Esté Lauder, magnifique bouquet floral -musqué soutenu en fond par un patchouli très pur et ciselé dans un sillage légèrement boisé, succès mondial et emblématique d'un floral bien dans son temps, né chez Firmenich également, il ne pouvait qu'être lorgné par une maison Guerlain envieuse de cette fraîcheur de beau floral qui plait autant aux américaines bon chic bon genre. Cette inspiration ressort dans Idylle dans les notes jacinthe-pivoine-fleurs lumineuses, par le coté métallique argenté des notes vertes, et par la forte signature apportée par la muscs blancs, mais 10 ans après, n'était-ce pas trop tard ?

En filigrane, j'y retrouve également quelques traits évidents avec Comme une Evidence d'Yves Rocher, Firmenich lui aussi, comme si sans le faire exprès, l'idée d'un parfum "efficient" avait été constante et était ressortie inconsciemment dans la signature d'Idylle.

Le complexe d'affirmation de soi :
Même s'il installe le style voulu par Thierry Wasser, malgré la qualité indéniable et la recherche effectuée dans le choix des matières premières sélectionnées avec soin et qui signent un sillage reconnaissable, Idylle a du mal à exister par lui même et à s'émanciper. Son succès n'a à priori pas atteint les objectifs de la maison mère.

Est-il alors étonnant qu'un parfum complexé aie du mal à trouver un public ? Etre, plus que vouloir être n'est il pas finalement qu'une question de bon sens, oubliée des décideurs ? C'est précisément le point faible d'Idylle. Avec le temps, saura t-il s'affranchir de ses pairs, pour affronter ses complexes de face et mieux s'imposer ? Il n'en aura peut être même pas le temps, car le prochain est sans doute déjà bien en route. Gageons qu'il retiendra la leçon ... ou pas ?

Idylle, une véritable idylle avec le public, ou le complexe d'un parfum face à son public ?

Illustration : Oedipe Ingres, Guerlain.

samedi 18 février 2012

L'Eau Trois - Diptyque 1975 : per fumum.

Lorsque l'on écoute un requiem, la musique accompagne l'élévation de l'âme vers le paradis. Dans sa définition initiale, le parfum passe "per fumum", à savoir à travers la fumée de différentes résines comme l'encens que l'on fait fondre et par laquelle passe l'âme pour s'élever vers le ciel. Il est ainsi présent dans les recettes les plus anciennes utilisées dans les rituels funéraires, d'où ce lien très fort entre encens et église par la force de l'histoire.

Ainsi, il est difficile de parler d'un parfum d'encens sans évoquer pour certains des moments difficiles. C'est également pour cette raison qu'un parfum à base d'encens comme Passage d'Enfer, l'Eau Trois et la Série des Encens de Comme des Garçons n'est parfois pas évident à porter. Pourtant, tel un requiem, un tel parfum peut être envisagé comme un hommage qui permet une sorte de communion entre le ciel, l'âme et le corps, et de se raccrocher à une sorte d'apaisement, de quiétude dans nos villes souvent stressantes, pour peu que l'on y soit sensible. L'Eau Trois de Diptyque est un parfum qui n'a surement pas été conçu pour être porté tous les jours, mais la noblesse des ses matières et la façon dont il se fond à la peau de par leur texture invite à le porter pour soi, parfois, dans des périodes de la vie ou séduction et volonté de plaire deviennent secondaires au profit du repli sur soi et du recueillement. Apaisé, l'esprit se pose, et le parfum l'accompagne.

La résine d'encens est donc le pilier de ce parfum, et comme pour toute résine, je n'ai pas le sentiment de m'asperger de parfum quand je le mets, mais de me frotter avec une huile précieusement parfumée. La gestuelle devient quasiment un rituel d'onction du torse et les bras par cette odeur apaisante à la couleur ambre foncé. Encens, mais aussi aromates comme le thym, le romarin, note boisée de pin des landes, note fumée du cade, note cuirée du bouleau, puis un musc très doux à odeur "moussue et veloutée" de champignon de Paris et de mousse d'arbre en font un parfum qui rappelle les pierres et l'encens des églises avec une fidélité impressionnante, mais aussi une balade en forêt, l'hiver, avec ses fumées de feu de bois et de terre mouillée, ainsi que certaines de ces anciennes officines en bois ciré, où se bousculent alambics et vieux pots d'herbes précieuses aux vertus curatives.

Une oeuvre parfumistique en quelque sorte, qui porte en elle la beauté, la tristesse et la noblesse des Requiem de Fauré ou de Mozart. Un parfum monument, assurément une référence.

Illustration : William Blake - Diptyque.

"Que son âme repose en paix ! "

samedi 11 février 2012

L'Eau d'Ambre Extrême - l'Artisan Parfumeur 2001 : velours d'hiver.

Si vous êtes encore un peu novices et que vous ne savez pas de quoi on vous parle quand un journaliste, un blogueur ou un présentateur d'une émission parle d'une odeur d'ambre, courrez chez l'Artisan Parfumeur découvrir l'Eau d'Ambre, et prenez le temps de vous attarder sur les deux versions, car entre l'Eau d'Ambre et l'Eau d'Ambre Extrême, tout n'est pas qu'une question de concentration.

L'Eau d'Ambre est un parfum emblématique de l'odeur d'un ambre classique. Lorsque l'on parle de l'odeur de l'ambre, l'on parle de essentiellement d'une recette historique, parfaitement décrite au tout début du livre Les Parfums d'Elisabeth de Feydeau, et composée autour du ciste labdanum, de la vanille, du patchouli, et de notes résineuses, cuirées et baumées comme le benjoin, la myrrhe et le styrax. C'est aussi, dans l'imaginaire d'un parfumeur, la représentation olfactive de ces cristaux de résine aux couleurs chaudes et mordorées.

La nuance apportée par Jean Claude Ellena dans l'Eau d'Ambre est d'avoir su jouer avec une facette florale par l'ajout de géranium. Ceci a pour effet d'alléger la structure et de créer comme une envolée des notes lourdes vers quelques chose de plus fin, de plus subtil et féminin. Pourtant, il y a dans cet ambre évidemment chargé du couple ciste labdanum-patchouli encore quelque chose d'assez brut, comme un accord bergamote-lavande un peu "vieillot" et une note iris-violette qui manque un peu de finesse à mon nez.

L'Eau d'Ambre Extrême semble avoir bénéficié de plus de maturité et d'un choix plus pointu sur les matières utilisées. Il parait moins aromatique, plus contemporain que l'Eau d'Ambre, et le défaut que je ressentais disparait complètement au profit d'un accord vanillé-cuiré plus accentué. Cette vanille semble avoir été sélectionnée avec un soin tout particulier, et apporte à l'Eau d'Ambre Extrême une facette qui fait appel à notre gourmandise en faisant écho au sucre glace, au sucre vanillé et à un bonbon que nous connaissons tous : le Carambar. Sur moi, les épices se font discrètes et la note cuir n'arrive qu'en contrepoint pour souligner la subtilité de cet ambre vanillé diablement addictif. L'iris, bien présent à mon sens mais assez peu perceptible également est moins appuyé de violette, rend le tout plus cohérent, plus souple et plus intemporel. Bien sûr, le couple ciste labdanum- patchouli se retrouve, mais tout en finesse. En le portant, il m'oriente presque naturellement vers des matières comme le cachemire ou la laine noble, il me transporte dans une pièce aux couleurs chaudes, où velours profonds et cuirs épais font partie du décor. J'ai aussi parfois l'impression que Guerlain l'a disséqué pour en extraire ses plus belles facettes et les retravailler dans la collection l'Art et la Matière, notamment dans Cuir Belluga, dans lequel on retrouve le contraste appuyé vanille-cuir.

L'Eau d'Ambre Extrême, comme un parfum qui donne envie de se blottir et de faire des câlins, sous un velours d'hiver... Ne fait-il pas plus chaud tout d'un coup ?

Illustration : cristaux d'ambre, l'Artisan Parfumeur.